11.8.08

« Qu'est-ce que l'homme ? »

Nombre de tribus ou ethnies se qualifiaient jadis d’un nom qui voulait aussi dire « hommes », ce qui suggère que les autres n’étaient pas vraiment des hommes, ou en tout cas des hommes d’une langue et potentiellement d’une nature différentes. Dès les civilisations antiques, les contacts abondants entre des hommes différents autour de la Méditerranée firent germer l’idée que l’on pouvait trouver une définition commune de l’homme au-delà de sa propre appartenance ethnique ou culturelle. Les religions sémitiques comme les philosophies grecques furent les premières grandes tentatives de définition générique de l’homme, du moins dans notre aire culturelle et ce sont celles dont la pensée occidentale est encore aujourd’hui l’héritière.

Bien plus tard, à l’aube de la modernité, Emmanuel Kant énuméra un certain nombre de questions fondamentales se posant à la raison critique : « Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m'est-il permis d'espérer ? Qu'est-ce que l'homme ? ». La dernière est la plus importante, puisque sa réponse conditionne les trois autres.

La modernité ayant libéré la connaissance de la foi, savoir ce qu’est l’homme est désormais une question ouverte, c’est-à-dire qu’il existe une compétition cognitive généralisée pour cette définition. Se réclamer d’une tradition particulière, fut-elle ancienne, ne garantit plus de légitimité ni d’autorité. La religion, la philosophie, la science apportent donc des réponses différentes. L’enjeu est de savoir quelle définition sera finalement partagée par le plus grand nombre d’hommes – et avant tout, par l’élite cultivée, puisque c’est elle qui forge une bonne part les représentations collectives communes. Si l’on regarde les deux siècles écoulés depuis Kant dans l’aire occidentale, le phénomène marquant est la régression de la religion, la stagnation de la philosophie et le progrès de la science. La régression de la religion signifie que les grands récits monothéistes n’ont rien produit de neuf sur la définition de l’humain et que le contenu de leur récit, lorsqu’il se prétendait factuel, a été progressivement miné par le doute. La stagnation de la philosophie n’est pas un jugement de valeur négatif sur la richesse de son contenu, indéniable, mais plutôt le constat que les philosophes émettent des analyses contradictoires sur la nature humaine, tendent à s’enfermer dans des traditions de pensée qui ne communiquent guère (analytique, herméneutique, phénoménologique, etc.) et surtout que la plupart de ces analyses à haut niveau d’abstraction restent enfermées dans des cénacles spécialisés, plus intéressés par un dialogue interne à l’histoire de la philosophie que par des explications claires à destination de la société. Quant au progrès de la science, il est assez évident puisque les savoirs positifs issus de la biologie, de la psychologie ou de la sociologie sont très largement débattus, et apportent des vues réellement nouvelles sur la définition de l’humain, c’est-à-dire des connaissances ou des considérations inconnues des périodes antérieures.

Il ne fait guère de doute à mes yeux que notre siècle va amplifier ces tendances. À mesure que la réponse à la question « Qu'est-ce que l'homme ? » deviendra ainsi scientifique, les réponses aux trois autres questions « Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m'est-il permis d'espérer ? » s’en trouveront elles aussi déplacées.

1 commentaire:

Vince a dit…

mais l'élite en place n'est pas obligée de transmettre son savoir... car l'un de ses buts sera sa propre survie : rien ne l'empêche alors d'orienter à sa guise les représentations collectives.

les exemples actuels ne manquent d'ailleurs pas. pour la suite...