10.8.08

Punition sociale et antisociale dans 16 pays

Pour analyser le comportement coopératif des individus, Benedikt Herrmann et ses collaborateurs ont utilisé un jeu dit de bien public. Le principe en est qu’une contribution à un pot commun se révèle bénéfique en retour, mais ce bénéfice est relatif (sous condition que d’autres contribuent). Le jeu se pratique à quatre. Chaque joueur a 20 jetons et en place la quantité de son choix dans le pot public. À la fin du jeu, les jetons du bien public sont multipliés par 1,6 et redistribués à chaque joueur, quelle que soit sa contribution. Si tous les joueurs donnent 20 jetons (coopération maximale), ils reçoivent 32 jetons en fin de partie. Si tous les joueurs donnent 0 jeton (non-coopération), ils restent avec leurs 20 jetons initiaux. Mais si un joueur ne place rien, alors que les trois autres placent leurs 20 jetons (stratégie de défection), ce joueur recevra 44 jetons à la fin (les 20 qu’il a gardés, et le bénéfice divisé par quatre de ce que les autres ont placé).

Un jeu complet est une session de dix mises consécutives. Chaque joueur observe le comportement des autres. Herrmann et al. ont réalisé deux variantes : le jeu sans punition (N) et avec punition (P). La punition consiste à faire perdre des jetons à un autre joueur, pour signaler que l’on réprouve son comportement au tour précédent. La punition coûte un jeton à celui qui punit, mais 3 jetons (pour 1) à celui qui est puni, avec un maximum de 9 (3 jetons de punition donnent 9 jetons de pénalités).

Ce jeu du bien public a été mené par dans 16 pays, présentant des différences notables dans leur arrière-plan culturel, politique et économique. Les équipes ont en revanche été choisies comme relativement homogène (des étudiants d’âge semblable dans chaque pays). 1120 joueurs ont participé au total. Le jeu se déroule de manière informatique et anonyme (les joueurs savent qu’ils jouent avec des concitoyens, mais sans rapports personnels avec eux).

Quels sont les résultats de cette expérience ?

- En situation N (sans punition), les contributions des joueurs ont régulièrement baissé entre le premier et le dernier coup (dixième) de la partie. La présence de joueurs défecteurs et l’impossibilité de les punir suffirent pour que l’ensemble des contributions tendent à la baisse. La contribution moyenne sur les dix coups a oscillé entre 4,9 et 11,5 jetons.

- En situation P (punition), les contributions des joueurs se sont améliorées dans 11 pays, mais sont restées stables dans 5 autres pays. La simple opportunité de punir ne signifie pas automatiquement une amélioration de la coopération. La contribution moyenne a oscillé entre 5,8 et 18,1 jetons, soit une variation deux fois plus importante que dans le jeu sans punition, et favorable aux stratégies de forte coopération.

- La possibilité de punir a fait apparaître l’existence d’une stratégie de punition antisociale : un défecteur ayant été puni pour son manque de coopération, au lieu de réajuster son comportement vers plus de coopération, préfère s’en prendre au tour suivant à celui qui l’a puni. C’est une logique de revanche où, plutôt que participer au pot commun, on préfère répondre à une punition par une punition, même si elle frappe des coopérateurs. Plus la punition antisociale est pratiquée, moins le bénéfice de coopération dans la situation P par rapport à la situation N est important.

- L’arrière-plan culturel et politique des pays est corrélé à l’attitude des joueurs, même s’il n’est pas évident d’en déduire des causalités solides. Les six pays les plus coopératifs en situation P, ayant une moindre punition antisociale, sont aussi ceux qui ont de bon score au World Democracy Audit (mesure harmonisée des droits politiques, des libertés civiles, de la liberté de la presse et de la corruption politique) : Etats-Unis, Royaume Uni, Allemagne, Danemark, Australie, Suisse. S’y ajoute cependant la Chine. L’inverse se vérifie pour les pays ayant un faible score au WDA, qui figurent parmi ceux ayant une forte punition antisociale et une faible coopération globale (Oman, Arabie Saoudite, Grèce, Russie, Turquie, Biélorussie). D’autres facteurs jouent. Par exemple, un questionnaire standardisé de solidité et de respect de la règle de droit (dans le cadre du World Values Survey) mesure si les habitants d’un pays considèrent comme justifiées ou non certaines pratiques (évasion et fraude fiscales, tromperie aux allocations, resquille dans les transports). En rapport avec le jeu, la tendance à la punition antisociale est d’autant plus forte que la confiance dans la règle de droit est faible.

Référence :
Herrmann B. et al. (2008), Antisocial punishment across societies, Science, 319, 1362-1367, doi: 10.1126/science.1153808

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