25.8.08

Haro sur les pilules du bonheur

Après les téléphones mobiles, le chevalier blanc David Servan-Schreiber s’en prend aux psychotropes, nous apprennent Le Monde et Psychologies Magazine. Pas de pot : nous étions déjà déprimés en attendant notre tumeur au cerveau par portable interposé, sans pouvoir nous relaxer avec une cigarette (qui donne des maladies graves, c’est marqué sur le paquet) ou un verre d’alcool (qui nuit à la santé, c’est inscrit sur la bouteille), voilà que l’on ne doit plus lorgner du côté des pilules…

Avec 14 autres signataires donc, essentiellement psychiatres, Servan-Schreiber dénonce l’abus d’antidépresseurs : « Nous consommons, en France, trois fois plus de tranquillisants et d'antidépresseurs que nos voisins européens. Et cette surconsommation augmente chaque année. » Le problème ? « Des centaines de milliers de personnes (…) se voient prescrire ces médicaments sur de longues durées, sans être averties de leurs effets secondaires ni bénéficier d'un suivi régulier. » Donc, il semble nécessaire et urgent « d'alerter l'opinion et les pouvoirs publics de cette surmédicalisation du mal être et sur l'existence d'alternatives non médicamenteuses aussi efficaces. » La solution ? « Les techniques ayant fait leurs preuves pour soulager la douleur psychique non pathologique ne manquent pas : psychothérapie, phytothérapie, relaxation, méditation, activité physique… C'est pourquoi il nous semble important de faire connaître et de favoriser ces réponses différentes à nos souffrances. »

Du côté des chiffres : 21,4 % des Français ont consommé des médicaments psychotropes dans l'année, contre 15,5 % des Espagnols, 13,7 % des Italiens, 13,2 % des Belges, 7,4 % des Néerlandais et 5,9 % des Allemands. Et, précise le Monde : « Les "troubles mentaux" représentent le quatrième poste des dépenses pharmaceutiques de l'assurance-maladie et se situent - avec 122 millions de boîtes vendues en 2005 - au deuxième rang en termes de prescriptions, derrière les antalgiques. De 300 millions d'euros en 1980, le montant remboursé par l'assurance-maladie pour ces produits a atteint 1 milliard d'euros en 2004. Un adulte sur quatre utilise un psychotrope au moins une fois par an. » (Les Français sont certes en tête des Européens, mais on remarquera au passage qu’ils sont 78,6% à ne pas consommer de psychotropes régulièrement.)

Je ne souhaite pas particulièrement faire l’éloge du Prozac ou de Lexomil, mais je trouve que la problématique n’est pas clairement située. S’agit-il d’une question économique relative au remboursement ? Y a-t-il des problèmes de santé induits par la consommation des psychotropes (lequels au juste) ? Cela pose-t-il un dilemme moral de préférer une pilule à une thérapie ou un cours de yoga ? Les individus ont-ils une obligation de ne pas altérer leur personnalité par des molécules psycho-actives ? Les médecins doivent-ils refuser les requêtes de confort ?

Serge Hefez, psychiatre et signataire, pose d’abord le problème sous l’angle économique : « Cela semble lié à une façon de nous en remettre à la protection de l’État providence. Plus concrètement, notre système de santé, sans doute le meilleur d’Europe, pour ne pas dire du monde, fait que quiconque, sans débourser un centime, peut quasiment dans la minute avoir accès à un médecin et à des médicaments. » Trou de la Sécu donc, une spécialité hexagonale. Cependant, il y ajoute rapidement un versant éthique : « Nous considérons que toute souffrance est un état pathologique. La grande nouveauté de ces dernières décennies, c’est de médicaliser la souffrance, comme de médicaliser la mort, le deuil. Cela revient à faire passer l’idée que la normalité, c’est le bonheur. Certes, chacun de nous aspire à la joie, à la félicité, mais dire que c’est normal, cela fait basculer ce qui est de l’ordre de la souffrance et de la tristesse du côté du pathologique, donc du médical. C’est une question éthique, une dynamique dans laquelle nous sommes pris, patients comme médecins. » Mais peut-être que la distinction normal-pathologique ou médical-non médical est elle-même en train de basculer, justement. Si telle pilule aide à la décontraction ou à la bonne humeur par action directe sur des neurotransmetteurs ou leurs récepteurs, elle est finalement du même ordre qu’un jogging, une séance de relaxation ou tout ce qui présente un effet comparable sur le cerveau, par des voies différentes. À moins que l’on considère la douleur (ou la pesanteur) psychique comme favorable à la construction de l’esprit… mais il faut au minimum justifier cela.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Si la sécu prend en charge le massage thaïlandais... Eh, eh. C'est pas pire, comme disent les québécois. J'ai bossé en psychiatrie, et je serais en fait carrément pour les vacances prises en charge par les caisses maladies, pour les dépressifs chroniques et les suicidaires. Quand on voit la déprime de la psychiatrie et le prix par jour de la chambre, on se demande si un mois de vacances à St Barth, à se faire masser dans un cinq étoiles, ne serait pas moins cher et plus efficace.

Anonyme a dit…

On ne peut pas tout mettre sur un même plan.
Si j'ai un caillou dans la chaussure qui me fait souffrir, la solution est de l'enlever pas de prendre des médicaments contre la douleur.
Même si la psyché ne fonctionne pas ainsi, il est de bon sens de comprendre que les anti-dépresseurs ne permettent pas de défaire le noeud qui est la base de la souffrance.
Bien évidemment, la souffrance est utile à la construction psychique, sans souffrance, il n'y a pas d'apprentissage des limites, et cet apprentissage fonde en grande partie l'identité de chacun.
Vous avez une manière de poser le problème (ou les problèmes) qui ne permet pas sa résolution.

C. a dit…

(anonyme) Je ne prétends pas "résoudre les problèmes", ni même m'émouvoir qu'il en existe réellement, comme nos sonneurs de tocsin.

"On ne peut pas tout mettre sur un même plan"
En effet, au lieu de faire un appel généraliste et moraliste sur les psychotropes, il serait plus utile de travailler sur des études détaillées concernant la "surconsommation" (ses motivations, sa fréquence, les molécules concernées, les situations de vie impliquées, les variations par âge/sexe/niveau social et autres facteurs d'intérêt, etc.). Beaucoup plus de faits, un peu moins d'interprétations (soit le contraire du tropisme hexagonal) : voilà ce dont on a besoin pour évoquer toute réalité.

"les anti-dépresseurs ne permettent pas de défaire le noeud qui est la base de la souffrance"
Souffrance est un mot vague, et il existe plusieurs types dépressifs ou anxiodépressifs. De mémoire, il est établi que des thérapies (TCC et familiales surtout) associées aux antidepresseurs donnent de meilleurs résultats (en terme de rémision) que les antidépresseurs seuls. Cela pour les épisodes dépressifs majeurs caractérisés.

"Bien évidemment, la souffrance est utile à la construction psychique, sans souffrance, il n'y a pas d'apprentissage des limites, et cet apprentissage fonde en grande partie l'identité de chacun"
Peut-être, mais cette assertion "de bon sens" demande justement à être étayée. Car la psychologie naïve est tellement souvent prise en défaut par la psychologie expérimentale que la simple répétition de ses propositions de bon sens ne suffit pas à établir la moindre "évidence".

Anonyme a dit…

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En attendant, moi, si un jour je me payais un crise de schizophrénie dont la vie a le secret, je préfèrerais prendre quelques pillules de chlorpromazine que de me taper les pensées de Pascal ...

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Anonyme a dit…

Je précise donc : je n'ai pas dit que vous prétendiez résoudre les problèmes, mais que votre façon de poser les problèmes ne permet pas de les résoudre.
En l'occurrence, la consommation élevée de psychotropes est bien un problème de santé de publique, qui à ce titre recoupe plusieurs champs (médecin, économie, société...).
Concernant la souffrance, je ne fais que transposer l'utilité de la douleur physique dans le domaine psychique. La douleur physique signale qu'une limite est franchie, celle de l'intégrité de la structure. Sans cette limite, il n'y a pas d'identité.

Anonyme a dit…

par contre, ses pilules à la con d'omega 3 de poisson mort, c'est supra conseillé

David Servan-Schreiber sera PENDU