13.8.08

La religion, forme primitive de la vaccination ?

Les scientifiques adorent se poser des questions que l’on ne se pose jamais. Corey L. Fincher et Randy Thornhill, du Département de biologie de l’Université du Nouveau-Mexique, se sont demandés pour la Côte d’Ivoire a 76 religions officiellement pratiquées et la Norvège 13, le Brésil 159 et la Canada 15, alors que ces pays sont de taille comparable. Les diverses approches évolutionnistes ou cognitivistes expliquant la genèse des religions (cohésion de groupe, produit dérivé d’autres traits cognitifs) sont muettes sur leur diversité. Et les deux chercheurs suggèrent une hypothèse à ce propos : la diversité religieuse est un produit des maladies infectieuses.

Leur modèle est inspiré par deux traits déjà connus : la dispersion limitée et la socialité assortie. La première, aussi appelée philopatrie, se réfère à l’ensemble des comportements limitant le mouvement d’un individu ou d’une population autour d’un lieu central de vie. La seconde concerne l’alliance avec des individus semblables, pour la reproduction ou d’autres contacts sociaux (réciprocité, chasses collectives, soin aux enfants, etc.), et résulte d’un biais de contact en faveur de certains types d’individus et au détriment des autres pour ces interactions. À cela, Fincher et Thornhill ajoutent une pression sélective : la co-évolution des microbes et des hôtes. Dans un espace où des individus se répartissent initialement de manière aléatoire, la présence de divers pathogènes et d’individus infectés va accroître les phénomènes de dispersion limitée et de socialité assortie. Et tout ce qui favorise le processus sera retenu comme bénéfique du point de vue immunobiologique – notamment la religion.

Pour tester leur modèle, les deux auteurs ont rassemblé les données pertinentes. Ils ont intégré les mesures d’échelle de dimension spatiale sociale (utilisation de l’espace par les individus d’une population), précédemment relevées dans 339 sociétés traditionnelles à travers le monde (Societal range size de Binford, 2001) ; les religions pratiquées dans 219 pays ou territoires (World Christian Encyclopedia de Barrett et al., 2001), dont le nombre varie de 3 à 643 selon les lieux ; le nombre total des maladies infectieuses connues, qui va de 178 à 248 selon les pays (base GIDEON Global Infectious Disease and Epidemiology Network).

Résultat : une fois corrigé les facteurs confondants, la corrélation la plus forte de la diversité religieuse s’observe avec la diversité infectieuse (0,75) et la prévalence des agents pathogènes (0,62), au-dessus de la taille de la population (0,59), la superficie (0,58), la démocratisation (-0,14) ou le PNB par habitant (-0,33). De même, l’espace utilisé par les individus au sein des sociétés montre une corrélation négative (-0,48), même lorsqu’elle est corrigée par la taille de la population et les pratiques de chasse (-0,27). Leur conclusion : « Bien que la religion existe apparemment pour établir des marqueurs sociaux d’alliance et d’allégeance au groupe, elle peut exister à un niveau plus fondamental pour l’évitement et la gestion des maladies infectieuses ».

En fait, l’observation de Fincher et Thornhill ne se limite pas à la religion, mais à l’ensemble des facteurs permettant de limiter la dispersion géographique et de renforcer la socialité assortie dans un environnement à forte pathogénicité. Les deux auteurs vont d’ailleurs prochainement publier un autre papier sur la diversité linguistique des groupes humains, qui parvient à des conclusions semblables. Et ils ont montré l’importance des maladies infectieuses dans l’axe individualisme / collectivisme manifestées dans les sociétés humaines (Fincher 2008), de même que leurs collègues ont commencé à étudier certains traits de personnalité (Schaller et Murray 2008). S’il existait des données quantifiées sur les règles de conduite morale ou les marqueurs ethniques directs (vêtements, tatouages, coiffures, maquillages), on peut faire l’hypothèse que l’on retrouverait un semblable pattern de dispersion.

Références :
Fincher C.L., R. Thornhill (2008), Assortative sociality, limited dispersal, infectious disease and the genesis of the global pattern of religion diversity, Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, online pub., doi :10.1098/rspb.2008.0688
Fincher C. L., R. Thornhill, (2008, sous presse), A parasite-driven wedge: infectious diseases may explain language and other biodiversity, Oikos, (doi:10.1111/j.0030-1299.2008.16684.x)
Fincher C. L. et al. (2008). Pathogen prevalence predicts human cross-cultural variability in individualism / collectivism, Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 275, 1279-1285
Schaller M., D. R. Murray (2008), Pathogens, personality and culture: Disease prevalence predicts worldwide variability in sociosexuality, extraversion, and openness to experience, Journal of Personality and Social Psychology, 95, 212-211.

(Merci à Randy Thornhill de nous avoir fait parvenir ses articles).

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