9.8.08

L'eugénisme qui vient : le débat interdit

Si l’État moderne continue dans sa logique égalitaire, sécuritaire et sanitaire fondant son existence, il sera condamné un jour ou l’autre à pratiquer l’eugénisme. Ne serait-ce que pour des raisons de coût : il apparaîtra vite qu’il est bien plus économique de corriger, au moment de la conception, des gènes liés à des traits non désirés que d’entretenir la lourde infrastructure médicale, sociale, éducative, policière, judiciaire censée réprimer ou atténuer les effets négatifs de ces gènes – négatifs parce que contraires aux idéaux d’égalité, de sécurité et de santé défendus par l’État.

Compte-tenu de l’orientation très médicale des sciences du vivant, les maladies seront les premières concernées : d’un côté, personne n’a envie de faire naître des enfants prédisposés au cancer, au diabète ou à l’Alzheimer ; d’un autre côté, les systèmes publics de santé montrent les premiers signes d’implosion sous l’effet du vieillissement et du coût de maladies chroniques associées. Mais on peut supposer que viendront ensuite d’autres traits, comme l’intelligence et la violence : la première parce qu’elle devient progressivement une condition de réussite dans l’économie humaine, passée de l’exploitation musculaire à l’exploitation cognitive ; la seconde parce qu’elle est un problème permanent de la co-existence des individus et des groupes.

Cette tendance ne sera pas si incongrue dans l’histoire de l’eugénisme moderne. Celui-ci est assimilé indûment au seul nazisme, qui en fit bien sûr l’usage morbide que l’on sait. Mais l’eugénisme fut également défendu par des penseurs ou chercheurs de gauche, testé de manière précoce dans certains États américains, longtemps pratiqué après-guerre dans les social-démocraties scandinaves, aujourd’hui imposé par l’État communiste chinois. L’eugénisme racial des délires nazis est un épouvantail commode pour masquer l’existence d’un eugénisme social et d’un eugénisme humanitaire.

Une telle perspective dépend bien sûr de l’évolution des sciences et des techniques. Il se peut que l’on mette au point des méthodes sûres, économiques et efficaces pour simuler les effets des gènes sans toucher à ceux-ci. On aura alors une « euphénique » (modification du phénotype) plutôt qu’une eugénique (modification du génotype). Il se peut aussi que la complexité du génome défie toute intervention sur celui-ci, mais c’est très douteux si cette intervention se fait sur des cellules embryonnaires, où la simple permutation d’un gène, avant le développement et la différenciation cellulaire, ne pose pas de problèmes majeurs sur le plan technique. C’est déjà couramment pratiqué sur les lignées d’animaux transgéniques utilisés pour la recherche.

Une telle perspective dépend aussi du rôle de l’État à l’avenir. Tous ceux qui soutiennent aujourd’hui son intervention massive dans la société en vue de redistribuer les biens ou de sécuriser les personnes militent ipso facto pour l’eugénisme à venir, même si cette idée les fait frémir. Corriger les inégalités socio-économiques et refuser de corriger des inégalités génétiques n’a guère de sens s’il est avéré que les secondes sont corrélées aux premières, et en forment parfois les conditions initiales (inégalités des chances à la naissance). Aider les individus souffrant de diverses maladies et refuser de modifier les gènes de ces maladies afin d’éviter ou différer leur survenue ne semble pas plus raisonnable.

Dans la perspective qui est la mienne, celle de la libre-disposition de son corps, l’intervention de l’État en ce domaine est non légitime, tout individu doit être libre de choisir les modifications exercées sur son corps ou les parties de son corps (ici, embryons et gamètes). Mais une telle position sera critiquée comme favorisant un eugénisme privé inégalitaire (ce que Jürgen Habermas appelait l’eugénisme libéral). Quoi qu’il en soit, ces questions feront débat dans les années et décennies à venir. On choisit aujourd’hui de bloquer ce débat par l’interdit, la criminalisation juridique, le tabou moral. Mais cette solution de détresse n’aura qu’un temps, elle se fissure déjà de partout puisque les individus circulent pour trouver là ce qui est interdit ici (sélection embryonnaire, choix du sexe de l’enfant, gestation pour autrui, etc.).

4 commentaires:

Anonyme a dit…

En poussant plus loin, on pourrait vouloir restreindre la fécondité des pauvres, puisqu'ils sont une charge pour la société; ils ont plus de risque de tomber malades, ont plus de risque de délinquance. Ça me rappelle plusieurs écrits sur les noirs américains, qui concentrent en eux tous les malheurs (taux de pauvreté, de maladies, d'incarcération etc). Et pourtant toutes ces jeunes adolescentes noires américaines qui deviennent mères célibataires, il semble que ce n'est pas uniquement dû à l'ignorance ou la déscolarisation, mais aussi et surtout la recherche d'un élément de valorisation de soi. Ayant une faible estime de soi, elles espèrent se mettre en valeur en devenant mères. "L'espoir fait vivre" et procréer?
Mais je sais que ce n'est pas ce n'était pas vraiment votre propos. Actuellement on applique déjà une forme d'eugénisme en faisant un dépistage de la trisomie 21 chez les femmes enceintes âgées et en leur proposant un avortement "thérapeutique" si la trisomie s'avère in utero. Personne n'y trouve à redire (sauf quelques fanatiques religieux extrémistes).

C. a dit…

Sur le premier point : oui, il y a déjà eu dans le tiers-monde des campagnes massives de stérilisation de populations pauvres et non éduquées. Et c'était une dimension sous-jacente de l'eugénisme galtonien et post-galtonien (empêcher les moins bien dotés, notamment les classes prolétariennes, de se reproduire, développer le planning familial dans une logique eugénique, ce que firent par exemple Mary Stopes et Margaret Sanger). On peut cependant douter de l'avenir de ces méthodes "brutales" : la perspective n'est plus d'empêcher la réplication de certains individus, mais celle de certains gènes. Si Etat eugénique il doit y avoir, il prendra le visage de la bienveillance et de la compassion ("Big Mother").

Sur le second point : oui, bien sûr, on pratique déjà l'eugénisme, mais de manière euphémisée et honteuse. Les examens de grossesse en général, pas seulement chez la femme âgée, visent à dépister les anomalies en vue d'une éventuelle IVG médicale. Et d'ici quelque temps, on devrait parvenir à isoler l'ADN foetal circulant dans le sang maternel : cela va changer le visage du diagnostic prénatal (caryotypage et génotypage complet du foetus).

Anonyme a dit…

Merci, je viens de lire sur Mary Stopes l'Ecossaise et Margaret Sanger l'Américaine. J'ai vu les cliniques Planned Parenthood aux USA et je ne connaissais pas les circonstances historiques.

Cette Mary Stopes y est allée un peu fort quand même, déshériter son fils parce qu'il a épousé une myope ...

C. a dit…

Une mauvaise idée car on sait depuis que la myopie est assez fortement et positivement corrélée à l'intelligence.