22.8.08

L'ère de la génomique personnelle

La réponse de notre organisme aux médicaments dépend de nombreux paramètres, dont plusieurs sont d’origine génétique. Cette réponse n’est pas toujours bonne : les effets secondaires indésirables touchent des millions de personnes, et provoquent parfois la mort. Aux États-Unis, on estime à 2 millions le nombre annuel de réactions indésirables, provoquant 100.000 décès. Rapporté à la population française, cela ferait 400.000 et 20.000 cas respectivement. De là, entre autres domaines, l’enjeu de la génomique médicale personnelle : examiner vos gènes pour anticiper vos réactions à certaines molécules « xénobiotiques », c’est-à-dire étrangères à votre corps.

Les gènes CYP (cytochrome P450) sont ainsi impliqués dans les enzymes de phase 1 qui métabolisent 75 % des médicaments aujourd’hui vendus dans le commerce. Ils ne représentent qu’une partie du processus, mais leur polymorphisme a été abondamment étudié. On l’a d’abord fait de manière large, dans les groupes ethniques. L’idée d’une « médecine raciale » a ainsi fait son chemin ces dernières années, surtout aux États-Unis, non sans polémique. Le fait est que la proportion des gènes CYP varie dans une population selon qu’elle est composée d’individus à ancêtres africains, européens ou asiatiques. Mais comme toujours en mesure de statistique des populations, celle-ci est imprécise et grossière. La variante CYP2C19*3 est par exemple rarissime chez les Africains par rapport à CYP2C19*2, mais le fait est qu’elle est tout de même présente chez un petit nombre d’individus. Et ainsi de suite pour chaque polymorphisme de ce gène précis, comme celui des autres du groupe CYP.

Mais cette mode de la génomique raciale va sans doute cesser aussi rapidement qu’elle a éclos. La raison en est simple : grâce aux progrès du séquençage bio-informatique, la vitesse et la précision de lecture des génomes se sont accrues de manière considérable en quelques années, en même temps que leur coût a chuté. Pourquoi en rester à des groupes ethniques imprécis et incertains, lorsque l’on peut directement observer le génotype des individus ?

Dans un article de la livraison de rentrée de Clinical Pharmacology & Therapeutics, l’équipe de J.C. Venter et Pauline Ng (J. Craig Venter Institute) en apporte la démonstration. Il se trouve que deux génotypes ont été intégralement déchiffrés : celui de Craig Venter justement, qui fut à l’origine du décryptage du génome humain dans les années 1990 et 2000, avec le consortium public HUGO, et celui de James Watson, le prix Nobel co-découvreur de la structure en double hélice de l’ADN (voir notre précédent article ici). Tous deux sont considérés comme caucasiens, c’est-à-dire d’ascendance européenne. Mais les chercheurs ont examiné en détail le polymorphisme de 6 gènes CYP, dont on sait qu’ils sont impliqués ans la réponse variable à de nombreux médicaments, des antipsychotiques aux bêtabloquants en passant par les statines et les antidépresseurs. Cela permet de constater par exemple que James Watson possède la version *10/*10 du gène CYP2D6, présente chez 3 % seulement des caucasiens, mais très fréquente chez les asiatiques.

Il existe aujourd’hui environ 1100 tests génétiques disponibles, pour toutes sortes de pathologies ou de prédispositions. Ce nombre va exploser dans les années à venir, à mesure que les grandes banques génétiques vont être croisées avec les généalogies médicales. Au-delà de ces tests, c’est le génotypage individuel complet qui se profile à l’horizon proche. Outre le Craig Venter Institute, plusieurs sociétés privées sont déjà sur les rangs de cette génomique personnelle : Navigenics, 23andMe ou deCODE sont les plus connues. Les débouchés sont d’abord médicaux, comme l’exemple de la réaction aux médicaments : avoir son génotype sur son dossier médical numérisé sera fort utile pour la consultation ou l’hospitalisation. Mais l’humanité étant fort curieuse et inventive, on peut gager que ces débouchés seront aussi bien ludiques : voir dans quelle population ancestrale ses gènes sont les plus fréquents, trouver sur Internet ses quasi-jumeaux génétiques sur certains loci, savoir si l’on porte des mutations rarissimes (pour le meilleur et… pour le pire), comparer ses gènes à celui de sa copine / son copain, etc. D’ici quelques années, il sera du dernier cri de transporter son génotype sur une clé USB ou un téléphone mobile.

Les grincheux habituels (des bio-éthiciens aux psychanalystes en passant par les psycho-socio-sociétologues) ne vont pas manquer de s’alarmer des dérives, pentes glissantes, effets pervers et autres catastrophes annoncées. Surtout en France où la panique morale est un sport national. Il est clair que l’extension prévisible de la génomique personnelle posera un certain nombre de problèmes. Par exemple, ce n’est pas forcément drôle d’apprendre à 20 ans que l’on a des prédispositions au diabète, à l’hypertension, à tel cancer ou à l’Alzheimer (même si savoir qu’un oncle, une grand-mère et un cousin ont déclaré ce genre de maladies revient un peu au même, l’incertitude en moins) : que faire dans ce cas ? On peut supposer que le métier de conseiller génétique a un bel avenir devant lui, pour expliquer les tenants et aboutissants de ce genre de « prédispositions ». Ce n’est pas drôle non plus si papa s’aperçoit que les gènes de sa petite fille chérie ne collent pas vraiment avec les siens, et bien mieux avec ceux du plombier. Les naissances issues de liaisons extraconjugales sont estimées entre 1 et 10 % selon les études et les populations. Mine de rien, cela fait du monde. C’est ici le métier de conseiller conjugal qui pourrait connaître un boom. Et il est probable qu’à terme, de grands organismes publics ou privés d’assurance-maladie ne resteront pas indifférents à ces informations qui influent sur le calcul des risques médicaux ou les discours de prévention.

Quoi qu’il soit, l’ère de la génomique personnelle est ouverte. Moins de 10 ans après l’annonce du séquençage du génome humain, qui paraissait pourtant un effort titanesque, quasiment hors de portée au début des années 1990. C’est dire si le progrès des biotechnologies est rapide. Et si leur influence sur les comportements individuels et sociaux ne fait que commencer.

Référence :
Ng P.C. et al. (2008), Individual genomes instead of race for personalized medicine, Clinical Pharmacology & Therapeutics, 84, 3, 306–309, doi:10.1038/clpt.2008.114

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