11.8.08

Contresens sur les bases évolutives de la morale

De ce que le sens moral est inné chez la plupart des hommes et trouve son origine dans l’évolution, certains espèrent déduire l’existence d’une « morale naturelle » s’imposant à tous, une version mise à jour du vieux « droit naturel » qui occupait les penseurs anciens et classiques. Mais c’est une méprise sur ce que nous enseigne la théorie de l’évolution appliquée à la morale. Si le sens moral fut adaptatif, c’est qu’il remplissait chez nos ancêtres du Paléolithique un certain nombre de fonctions ayant une valeur de survie et de reproduction, par exemple faire des enfants, les aider à grandir, obéir pour éviter le conflit, ne pas voler pour soi les biens du groupe, etc. En cela, la morale n’a rien à voir avec la vérité : des préceptes moraux peuvent être faux, l’important est qu’ils soient efficaces pour la fitness de l’individu et du groupe, et que nous soyons programmés pour y adhérer. En dévoilant cette généalogie de la morale, la conclusion darwinienne rejoint la conclusion nietzschéenne : le fondement de la morale n’est pas moral en dernier ressort, c'est un simple instrument de cohésion du groupe, et cet instrument peut être exploité le cas échéant pour assurer la domination d’une caste sur le groupe.

Sachant cela, la raison doit travailler à faire évoluer ce vieil outil dont elle a révélé les grossiers mécanismes. Pourquoi les êtres rationnels devraient encore perdre leur temps à discuter avec des individus croyant que la morale vient d’on-ne-sait-quel agent surnaturel, qu’elle recouvre on-ne-sait-quelle vérité gravée dans le marbre, qu’elle découle des propos d’on-ne-sait-quel sage des temps anciens ? Tout cela est de la foutaise, on fait surtout mine de respecter ces systèmes biscornus parce qu’on imagine qu’un certain nombre d’humains sont trop demeurés pour se comporter paisiblement s’ils ne croient plus à de telles sornettes. Mais supporter le fardeau des abrutis, et des croyances nécessaires à ces abrutis, voilà qui devient de plus en plus pesant : il suffit d'une poignée de lois simples pour assurer les anciennes fonctions de la morale, lesquelles se ramenaient pour l’essentiel à minimiser la violence (le meurtre, le vol, le viol) et la tromperie (le dol, la fraude, la calomnie). Quelques principes de droit pénal sur le respect des biens et des personnes, et de droit civil sur les respect des contrats et des obligations, voilà les règles minimales dont un groupe humain a besoin en guise de substitut fonctionnel des anciens systèmes moraux. Et tout le reste relève de la liberté de pensée et d’action – y compris bien sûr la liberté d’adhérer à des morales plus substantielles pour soi et les siens. La sexualité, la famille, le style de vie, les pratiques, les opinions, les goûts… tout cela n’a plus aucune raison de figurer encore dans un registre moral commun, comme le cerveau paléolithique le croyait, et comme certains cerveaux moralisateurs (religieux mais parfois laïcs) s’emploient encore à le croire.

PS : on lira avec profit le livre du philosophe Richard Joyce, Evolution of Morality (MIT Press, 2006), notamment le dernier chapitre (The Evolutionary Debunking of Morality).

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