26.8.08

J'suis moi-même, tu vois, j'suis authentique

De ce côté-ci de l’Atlantique, D. Servan-Schreiber et ses amis sonnent le tocsin contre les psychotropes ; sur l’autre rive, réputée plus pragmatique, Jason Riis et ses collègues se sont interrogés sur le rapport que les individus entretiennent avec les pilules d’amélioration de soi. Au moins les jeunes individus, puisque leurs enquêtes ont concerné environ 360 étudiants. Dans plusieurs tests, ils ont analysé 19 traits susceptibles d’être améliorés par voie pharmaceutique dans les prochaines années : créativité, concentration, mémoire épisodique, aptitude logique, confiance en soi, contrôle de soi, aisance sociale, etc. Les étudiants devaient exprimer, par diverses méthodes directes ou indirectes, s’ils estimaient que ces traits sont importants dans le « soi » et son identité ; et de manière indépendante s’ils étaient prêts eux-mêmes à améliorer le trait, à interdire ou non cette amélioration, à juger l’amélioration moralement acceptable.

Il en ressort que le premier critère de décision pour les individus est associé à l’importance présumée d’un trait dans l’identité personnelle : plus ce trait révélerait le « moi authentique », moins on est disposé à le modifier. Les meilleurs scores pour l’indice d’identité ont été obtenus pour des traits émotionnels et sociaux : gentillesse, empathie, confiance en soi, humeur et motivation pour les cinq premiers ; aptitude logique, aptitude dans les langues étrangères, moindre besoin de sommeil, mémorisation rapide et réflexes pour les cinq derniers. Il est assez intéressant que la notion subjective d’identité soit ainsi rabattue sur ce genre de traits : être bon en maths ou en musique serait plutôt impersonnel alors qu’être gentil et sociable serait très personnel. La corrélation entre la volonté d’utiliser/ne pas utiliser une pilule d’amélioration et la volonté d’interdire/autoriser cet usage est nulle, ce qui signifie que les jugements pour soi et pour les autres n’empruntent pas les mêmes cheminements psychologiques ; en revanche, et logiquement, il existe une forte corrélation entre l’acceptabilité morale et la volonté d’interdire, ces deux aspects présentant une forte variance entre les individus.

La dernière étude des auteurs a consisté, cette fois auprès de 500 personnes dont certaines plus âgées (18 à 45 ans), à analyser si la publicité pour ces pilules d’amélioration est susceptible de modifier les comportements des consommateurs potentiels. Ils ont donc inventé une molécule hypothétique sur le point d’être mise sur le marché (Zeltor), garantie sans effets secondaires et à effet réversible, avec deux signatures différentes : Zeltor, Deviens plus que ce que tu es ; Zeltor, Deviens ce que tu es. Zeltor a été testé sur deux traits, l’un à faible valeur dans l’identité personnelle (concentration), l’autre à forte valeur (aisance sociale). De manière prévisible, le Zeltor pour la concentration a d’autant plus intéressé le consommateur potentiel qu’il en promettait « plus » (recherche directe d’amélioration sur un trait jugé non personnel) ; et le Zeltor pour l’aisance sociale a provoqué plus d’attrait selon qu’il garantissait au contraire de simplement devenir ce que l’on est (meilleure acceptabilité d’un changement personnel s’il est présenté comme une révélation de soi). A ceux qui s’apprêtent à se lamenter sur les terribles manipulations publicitaires qui nous privent de notre libre-arbitre, on précisera quand même que l’effet d’un changement de signature fut faible (de 45 à 50 % d’intérêt selon la variation de signature).

Ce genre d’études serait évidemment plus instructif avec un panel plus étalé en âge (le rapport à soi et le besoin de compenser ses « défaillances » se modifient avec le vieillissement), ainsi qu’une analyse des divergences sexuelles et culturelles. Il faudrait également comparer des promesses exactement identiques avec des remèdes naturels / traditionnels d’un côté et des produits pharmaceutiques de l’autre, afin d’évaluer la part de résistance à la nouveauté et à l’artificialité dans le refus des modifications de soi.

Référence :
Riis J. et al. (2008), Preferences for enhancement pharmaceuticals: The reluctance to enhance fundamental traits, J. Consum Res, online pub., doi :10.1086/588746

(Merci à Jason Riis de m’avoir fait parvenir son article).

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