14.8.08

« Pour des raisons philosophiques personnelles… »

Le débat sur l’euthanasie progresse par étapes. Des étapes morbides : Rémy, 23 ans, atteint d’une pathologie mitochondriale dégénérative, vient de se suicider. Il avait écrit au printemps au président de la République : « Comme Vincent Humbert [mort en 2003], je demande à ce moment qu’on me permette de mourir pour me libérer de mes souffrances (…) Je sais qu’en France, il n’y a pas de loi qui permette aux équipes médicales de pratiquer l’euthanasie. Ca m’empêche de vivre en paix (…) Il faut que la loi change !» Au début de ce mois d’août, Rémy a reçu la réponse de Nicolas Sarkozy : «Pour des raisons philosophiques personnelles, je crois qu'il ne nous appartient pas, que nous n'avons pas le droit, d'interrompre volontairement la vie.»

Le propos présidentiel est intéressant. D’abord, il ramène cela à des convictions « personnelles » dont on n’a que faire : chacun possède ses convictions, la question est de savoir pourquoi certaines sont interdites (ou empêchées de se traduire en actes) quand d’autres ne le sont pas. L’euthanasie est un accord entre des individus, la mort du malade est l’effet de sa volonté, elle est jugée préférable à une déchéance physique, c’est-à-dire une vie non digne d’être vécue. L’État comme hier l’Église s’arroge le droit de soustraire aux individus la disposition de leur bien le plus fondamental (la vie) et se fait ainsi l’arbitre des conceptions personnelles de la dignité humaine. Ensuite, Sarkozy évoque des raisons « philosophiques ». Mais si l’on suit son discours de Latran (consultable sur le site élyséen), il s’agit très probablement de convictions religieuses : « Ma conviction profonde (…) c’est que la frontière entre la foi et la non-croyance n’est pas et ne sera jamais entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, parce qu’elle traverse en vérité chacun de nous. Même celui qui affirme ne pas croire ne peut soutenir en même temps qu’il ne s’interroge pas sur l’essentiel. Le fait spirituel, c’est la tendance naturelle de tous les hommes à rechercher une transcendance. Le fait religieux, c’est la réponse des religions à cette aspiration fondamentale (…) La République a intérêt à ce qu’il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses. D’abord parce que la morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini. Ensuite parce qu’une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité. »

6 commentaires:

Anonyme a dit…

L'homme en question pouvait se tuer, il s'est tué, fin de l'histoire. "Comme Vincent Humbert [mort en 2003], dit-il, je demande à ce moment qu’on me permette de mourir pour me libérer de mes souffrances". Qu'on me permette ? Si je veux me tuer cela ne regarde que moi, pas l'Etat. Nulle permission à demander. Sous prétexte de reconnaître une liberté de fait, celle de se tuer ou d'être tué par des proches, le cas échéant, on aspire à une servitude de droit.

La question de l'euthanasie n'est donc que celle des personnes qui n'ont pas les moyens physiques de se tuer, ni ne se sont prononcées sur leur éventuel maintien en vie au-delà de ce seuil et qui n'ont pas de famille ou d'amis pour s'occuper d'eux jusqu'au bout de leur vie, y compris en y mettant un terme.

Demander la permission de l'Etat pour se tuer, c'est se comporter en mineur et laisser l'Etat juger de qui doit vivre et qui doit mourir en dehors des limites bornées de l'état d'exception.

Les équipes médicales pratiquent déjà, largement, des euthanasies. Des euthanasies se pratiquent dans le cadre familial, tout se jouant entre le malade, la famille, le médecin et parfois le prêtre. Tout cela se fait illégalement et c'est très bien ainsi. Tuer doit rester un acte grave que l'on ne doit accomplir qu'en prenant un risque. Mais ni les forces de l'ordre, ni la Justice n'agissent dans l'immense majorité des cas.

Si un proche me demandait de l'aider à mourir, voire à le tuer et si j'étais certain, en mon âme et conscience, que c'est chez lui un choix définitif et que rien ne peut être fait humainement pour en changer les causes, alors je l'aiderai à mourir ou je le tuerai moi-même. Maintenant, si cela doit me coûter la liberté (ce dont je doute) eh bien je considérerai que c'est là payer un faible prix, s'il s'agit de celui de la fidélité à un ami ou à un proche. Je penserai aussi que la perte de liberté n'est que peu de chose au regard d'une souffrance qui exige que l'on renonce à la vie.

Et si le suicide est interdit, je m'en moque. Si je me tue, je laisse aux charognards de l'Etat le droit de disposer comme ils le souhaiteront de mon corps pour le punir s'ils le veulent.

Tout le reste n'est que posture morale et de ce point de vue, l'Eglise est infiniment plus cohérente et digne que ceux qui veulent faire de l'euthanasie une affaire de fonctionnaires, surtout lorsque c'est au nom de la liberté.

C. a dit…

(schizodoxe) L'euthanasie, c'est à mon sens un contrat par lequel un individu permet à un autre de le tuer. Et il organise cette "mise à mort" ou "suicide assisté" comme il veut. Les "charognards de l'Etat" n'ont rien à interdire en la matière. Les Eglises font ce qu'elles veulent, tant qu'elles ne prétendent pas (re) devenir des "charognards du pouvoir civil et temporel".

Anonyme a dit…

Dans ce cas, pourquoi s'offusquer que le Président, contrairement à son penchant naturel (qu'il partage largement avec l'ensemble de la classe politique), ne profite pas de l'occasion pour légiférer en la matière et préfère botter en touche ?

La tolérance de fait qui existe aujourd'hui (et depuis assez longtemps) à l'égard de l'euthanasie est la meilleure des solutions possibles dans le cadre actuel et peu importe les motifs de Sarkozy pour laisser les choses en l'état. Je n'ai pas envie de voir des publicités niaises ou larmoyantes (mais toujours coûteuses) à la télévision pour l'euthanasie comme on en voit contre l'obésité, l'anorexie, la sexualité non protégée, les discriminations ou les accidents de la route... Et j'ai encore moins envie de voir des fonctionnaires se mêler de décider de qui doit vivre et qui doit mourir.

D'un point de vue pragmatique, la fermeté de l'opposition publique de l'Eglise sur le sujet joue en faveur de la liberté de chacun en freinant l'Etat dans son penchant à empiéter sur la vie privée. Une même cause peut avoir des conséquences opposées et le maintient d'une interdiction de droit permet parfois mieux, de fait, l'exercice de la liberté que ne le ferait une légalisation.

C. a dit…

Pourquoi s'offusquer ? Parce que la "tolérance de fait" laisse des gens dans l'impossibilité concrète de mourir comme ils le souhaitent (encore faut-il tomber sur les infirmières, médecins, cliniques, hopitaux "tolérants"). Et avant tout parce que je ne peux pas, là maintenant, fixer un contrat avec tel ou tel particulier où je précise en toute lucidité quand on doit me donner la mort dans telle ou telle circonstance. Or il me semble que l'expression de cette volonté, et son exécution par un tiers si nécessaire, relève de ma seule liberté. Les fonctionnaires n'ont en effet rien à voir ni y dire. La publicité, peu m'importe, je ne regarde pas la télé.

Anonyme a dit…

Je ne conçois guère un contrat, touchant à des choses aussi intimes, que tacite, informel et engageant des proches. Je ne vois donc rien qui vous empêche de faire un tel contrat.

Il est évident que les choses sont très différentes si vous parlez d'un contrat écrit disposant de la garantie d'un tiers, là nous quittons le tacite et les droits de l'amitié ou des liens du sang pour entrer dans celui du droit privé et nous faisons donc, que vous le vouliez ou non, de l'Etat l'arbitre de la vie et de la mort (à mois que vous ne supposiez ex hypothesis l'absence de l'Etat et que la garantie du contrat soit purement privée — ce qui relève, pour le coup, de la mythologie libertarienne la plus sommaire).

Or, s'il y a bien une chose dont l'homme ne peut se déposséder (jusqu'à ce jour et sans doute pour un bon moment encore) sans devenir moins qu'un esclave, c'est de sa mort (chez les Anciens, l'esclave mérite sont esclavage en ne s'en libérant pas par la mort).

Pour ce qui est des publicités, moi non plus je ne les regarde pas faute de télévision (je n'en ai plus depuis plus de 15 ans et j'en suis fort aise), mais ceux dont vous ferez vos maîtres en les faisant arbitres de votre droit à mourir dignement et tout le tralala, eux, je peux vous l'assurer, la regarde et n'ont d'autre conscience morale qu'elle. Et c'est avec une infinie bienveillance qu'ils décideront pour vous et pour d'autres si leur vie est digne d'être vécue ou non.

Le seul véritable problème, encore une fois, concerne les personnes ne s'étant pas exprimées sur le sujet, ne pouvant plus le faire et se trouvant dans un état qui ne laisse aucun espoir de rémission.

C. a dit…

"nous faisons donc, que vous le vouliez ou non, de l'Etat l'arbitre de la vie et de la mort"

Non, il garantit en dernier ressort l'exécution du contrat en cas de litige c'est tout. Si je fais un testament chez mon notaire (contrat privé), cela n'autorise pas pour autant l'Etat à modifier les termes de ce testament.

"Le seul véritable problème, encore une fois, concerne les personnes ne s'étant pas exprimées sur le sujet, ne pouvant plus le faire et se trouvant dans un état qui ne laisse aucun espoir de rémission.

En effet, ce sont les seuls cas concrets posant problème et c'est bien autour de ces cas que le débat existe.