27.8.08

23andMe : critique de la critique

Dans Libération, Joël Gellin critique la démarche de la société américaine 23andMe, dont nous avions parlé ici. Bien que la spécialité de son laboratoire de génétique cellulaire (Inra, Toulouse) soit les animaux de ferme, le chercheur semble avoir des idées bien arrêtées sur ce que l’animal humain devrait ou ne devrait pas faire. Analyse critique de ce discours.

« Tapez 23andMe sur la Toile (« 23 chromosomes et moi »). Pour 600 euros, on vous propose d’ouvrir le secret de votre propre ADN. Après une commande sur Internet, vous recevrez, en kit, un tube et une petite brosse pour récupérer un peu de salive. Vous envoyez le tout dans une enveloppe à l’adresse indiquée. Le but avancé est de vous fournir une information sur votre risque de développer une maladie parmi une liste proposée sur le site. »

Détail : ce n’est pas le seul but, on peut aussi bien comparer des gènes avec ceux de sa famille ou de ses amis, analyser ses gènes ancestraux (au sein de la phylogénétique des populations humaines), etc.

« Dans le domaine de la santé, les choses sont, en effet, compliquées. Il n’y a pas qu’un gène à l’origine d’un problème mais sans doute plusieurs qui interviennent chacun pour une partie infime du déclenchement d’une anomalie ou d’une maladie. La part du milieu (de l’environnement) et de votre mode de vie est énorme et primordiale. Dès lors, 23andMe peut donner, au minimum, une information mal adaptée. »

Non. 23andMe donne une information génétique : savoir si elle est « adaptée » ou non dépend de la pathologie et du gène concernés. Par exemple, pour une maladie monogénique autosomique récessive (déclenchée par la présence de deux gènes identiques du père et de la mère sur un même locus), savoir que je suis porteur sain est une information tout à fait pertinente en elle-même : elle signifie que si mon partenaire l’est aussi, il existe un risque non négligeable (25 %) que l’enfant développe la maladie. Pour une maladie polygénique, les plus répandues, un seul gène ne donne qu’une part de l’information et, en tout état de cause, une simple probabilité de déclenchement, lequel dépend aussi de l’environnement (mode de vie). Mais deux choses : il n’y a aucune raison que 23andMe (ou autres sociétés privées de testing) se contente d’un seul gène (si en 2010 ou 2020 on connaît 750 gènes en interaction qui influent sur le diabète, 23andMe peut donner de l’information sur ces 750 gènes et les probabilités affectées à leurs combinaisons) ; connaître un risque est toujours une information utile, même si l’on conçoit qu’une probabilité n’a rien d’une certitude (si je sais que je vis en zone inondable, je peux prendre certaines dispositions si je le désire, quand bien même je ne suis pas sûr d’une inondation dans mon existence).

« En France, l’obtention d’informations sur le génome humain est médicalement très encadrée. Les tests génétiques préventifs, par exemple pour le cancer du sein, ne sont proposés aux patientes qu’après une étude de la prévalence de cette maladie dans la famille. Si cette étude suspecte la présence d’un variant génétique délétère, c’est-à-dire pouvant, avec une grande probabilité, rendre malade, alors il y a un contrôle médical renforcé de la patiente. Mais ce test génétique ne vaut que pour un gène particulier, responsable que d’un petit pourcentage de cancers du sein. Si le test fournit par 23andMe indique que vous n’avez pas l’anomalie en question, qui est la seule testée, cela ne dit pas grand-chose sur vos risques de faire un cancer. Ainsi, vous devez conserver une bonne hygiène de vie et effectuer les classiques mammographies. Donner cette information sans ces précisions peut avoir un effet démobilisateur. »

Il ne faut pas prendre les gens pour des idiots : l’absence des gènes de prédisposition aux formes familiales du cancer du sein (famille BRCA et autres) ne signifie évidemment pas l’absence de risque de cancer du sein, et donc n’annule pas l’intérêt des procédures de dépistage. S’il est un jour avéré que j’ai un génotype optimal vis-à-vis des cancers, je ne vais pas pour autant prendre mes vacances à Tchernobyl ou fumer trois paquets de cigarettes par jour en toute insouciance.

« 23andMe est, me semble-t-il, au minimum un ‘business à risque’. Le premier des risques reste bien entendu un manque éventuel de fiabilité des tests effectués par cette société. Rien nous permet aujourd’hui de s’assurer de la qualité des prestations proposées. En France, les tests sont réalisés par des laboratoires surveillés et labellisés. »

L’argument n’est pas très fort : les laboratoires de 23andMe sont sous licence du gouvernement fédéral américain. On peut supposer que cela impose des critères de qualité. Soit on démontre la faiblesse de ce contrôle qualitatif, soit on évite la suspicion gratuite.

« À l’origine de cette société, on trouve le cofondateur de Google. On flaire la bonne idée. Celle, à mon avis, de créer des sites d’internautes sur la Toile regroupant des individus partageant un certain nombre de particularités génétiques. À terme, l’ambition des concepteurs de 23andMe est peut-être de créer des communautés d’un nouveau type, pourquoi pas des ethnies nouvelles. »

Pourquoi pas en effet ? Cela fait partie des dimensions intéressantes du projet, la capacité ou non de créer des communautés sur base d’affinités génétiques. Il est peu probable que cela soit l’usage majoritaire (qui donc a envie de choisir un ami ou un partenaire sous le seul prétexte qu’il partage X % de ses gènes ?). Mais en soi, cela sera amusant d’observer ce genre d’effets sociaux s’ils existent. Il n’est inscrit sur aucune table de la loi que les individus doivent ignorer leur patrimoine génétique et qu’ils ne sont pas libres d’en faire l’usage qui leur plaît.

« De multiples informations pourraient y circuler au jour le jour entre ces communautés et 23andMe. Des informations sur leur mode de vie et leur vécu, sur des échanges de conseils et d’informations sur la survenue de troubles de santé, d’intolérance à des médicaments ou d’une maladie. Tout cela sans clause bien claire de confidentialité. Cela fait penser au logiciel en ligne Facebook. Ce projet 23andMe créerait un double flux d’informations capable à terme de rendre pertinentes ou de renforcer certaines des prédictions fournies par cette société. Rapidement, 23andMe - Google pourrait construire une base de données médicales très détaillée et évolutive mais aussi, on l’a compris, très lucrative. Google fait-il de la recherche en génétique humaine ? »

Le manque de confidentialité relève pour le moment du procès d’intention, tout comme le défaut de qualité des tests suggéré ci-dessus. 23andMe spécifie que chacun partage ses données avec qui il le souhaite et que celles-ci sont protégées par divers niveaux de cryptage. On peut ne pas les croire, mais la moindre des choses est de démontrer, pas d’insinuer. Pour ma part, j’espère bien que Google fera de la recherche en génétique humaine – et 23andMe a déjà des accords avec des laboratoires en ce sens : si l’on peut constituer ainsi, sur un mode ludique et commercial au départ, des bases de données de dizaines ou centaines de millions de personnes, cela sera un outil très utile pour la recherche. Sans que l’anonymat des informations soit nécessairement brisé. Le patrimoine génétique d’un individu fait partie des informations de vie privée n’ayant pas à être divulguées ou connues sans son consentement. Elles ne sont ni plus ni moins « sacrées » que les autres aspects de sa vie privée – il est curieux de se défier d’un côté de la fascination du gène et d’entretenir d’un autre côté cette même fascination.

« Ce projet peut changer votre rapport à la vie. Avec cette société, le client croit devenir l’acteur de sa santé sans intermédiaire médical. C’est le passage d’une partie de la médecine dans un secteur strictement commercial. »

Non. Il faut cesser d’en rabattre ainsi sur « le médecin » en toute généralité, avec des nostalgies hippocratiques d’un autre âge. Il existe par exemple une profession appelée conseil génétique, celle-ci doit simplement faire son travail, en lien avec l’individu et la médecine lorsque cela est nécessaire : il y aura de plus en plus de demandes, tant mieux.

« Il s’agit bien de se mettre à nu de se regarder de l’intérieur, de se montrer. On peut comparer cela à l’exposition à Paris sur le monde du corps, l’anatomie y est révélée grâce à de véritables corps humains écorchés et plastifiés ou encore, à la mode des échographies de fœtus en trois dimensions, en dehors de tout contrôle médical. S’agit-il d’une pornographie ? En tout cas, c’est bien une manière obscène de montrer, de se montrer. »

Les considérations morales de Joël Gellin n’engagent que lui : personne n’est obligé de montrer son string dans la rue, de mettre des photos et vidéos personnelles sur son blog, de partager ses gènes sur un site. 23andMe est une plateforme privée (et non publique) où des individus échangent ce qu’ils désirent sur des informations privées. Ceux à qui cela déplaît n’ont qu’à faire autre chose, personne ne les contraint à quoi que ce soit.

Conclusion : Joël Gellin illustre assez bien les tropismes de l’idéologie dominante française en ce qui concerne la génétique. Défiance de principe à l’égard des innovations privées n’ayant pas reçu l’aval de l’autorité publique, infantilisation des individus, moralisation suspicieuse, mise en avant systématique des dangers, des dérives, des dérapages, défense à tonalité corporatiste du Médecin et du Chercheur comme figures seules détentrices du savoir pertinent, etc. On est au XXIe siècle, les amis, il faudrait desserrer la cravate, descendre de sa chaire, discuter avec les gens de leurs désirs et de leurs besoins plutôt que réfléchir en petits comités d’experts aux prochaines normes étatiques promulguées au nom de la Morale et du Savoir à majuscules initiales.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

"À l’origine de cette société, on trouve le cofondateur de Google" - non, on trouve sa femme Anne Wojcicki, qui a reçu son diplôme de biologie à Yale près de 10 ans avant d'épouser Serguei Brin. Google, pour sa part, a investi en 23andme au printemps 2007, un peu moins de 4 millions de $.

infos vaseuses, article bidon

C. a dit…

Merci des précisions. La fausse info en dit long finalement : peu importe que madame ait une formation en biologie, l'important est ce que fait monsieur... Machisme et suspicion par association.