20.8.08

FOXP2 et au-delà : bienvenue dans le lexinome

Dans un article de la dernière livraison du New Scientist, Ed Yong revient sur l’histoire récente du gène FOXP2. Celui-ci a été découvert en 2001 chez une famille (anglaise) connue depuis sous le nom de KE. La famille KE présentait un bien étrange trouble chez la moitié de ses membres : non seulement ils avaient des problèmes de grammaire, d’écriture et de compréhension, mais ils ne parvenaient pas à coordonner les mouvements du visage, de la bouche et de la langue pour articuler correctement les mots. Des chercheurs du Wellcome Trust Centre for Human Genetics, de l’Université d’Oxford, ont trouvé la source du trouble : une version mutée du gène FOXP2 (Lai 2001).

L’enthousiasme fut immédiat chez les commentateurs : on avait trouvé le « gène du langage » ou le « gène de la parole » ou encore le « gène de la grammaire ». Plus prudent, les scientifiques commencèrent à étudier le détail de FOXP2 et de sa protéine (du même nom). Cette dernière fut analysée par l’équipe de Wolgang Enard, de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste, à Leipzig (Enard 2002). FOXP2 diverge par deux acides aminés (sur 751 au total) de la version présente chez le chimpanzé, le gorille et le macaque. Et de trois par rapport la version présente chez la souris. Cela indique une pression sélective récente et forte : l’ancêtre commun des primates et des rongeurs a vécu voici 130 millions d’années (un acide aminé modifié), alors que celui des chimpanzés et des hommes a vécu voici 6 millions d’années seulement (deux acides aminés modifiés).

Les études se sont ensuite multipliées chez diverses espèces animales, notamment les oiseaux, les cétacés, les primates, et chez des humains atteints de troubles du langage ou de la communication. Il en est ressorti que le gène FOXP2 est bien conservé dans l’évolution, mais présente toutes sortes de variations spécifiques et inattendues – par exemple, il y a plus de variations chez 13 espèces de chauve-souris (pratiquant ou non l’écholocation) qu’il n’y en a partout ailleurs (Li 2007), Bien loin d’être spécifique au langage, le gène FOXP2 s’exprime en fait dans un grand nombre de tissus : les poumons, l’œsophage, le cœur et surtout le cerveau. Dans ce dernier, les ganglions de la base et le cervelet sont les régions les plus richement influencées par les produits du gène. L’analyse des modèles animaux (singes, oiseaux ou souris mutés sur le gène) suggère que celui-ci joue d’abord un rôle dans l’apprentissage et la coordination des mouvements complexes. D’où son influence sur le langage humain, à travers l’articulation des mots (Achermann 2008, Teramitsu 2008).

Du point de vue moléculaire, la protéine FOXP2 est un facteur de transcription qui active ou inhibe l’expression d’autres gènes. Les chercheurs se sont donc mis en chasse de ces derniers. Mais la tâche ne sera pas si simple. Les travaux préliminaires de Simon Fischer et Daniel Gerschwind montrent que plusieurs centaines de gènes seraient concernés, impliquant notamment la croissance des neurones et leur connectivité, cela dès le début du développement nerveux foetal. Sur ces gènes influencés par FOXP2, au moins 47 sont exprimés différemment chez l’homme et le chimpanzé et 14 ont connu une évolution rapide au cours de l’hominisation. Ce seront donc les cibles prioritaires des prochaines années. On commence ainsi à déchiffrer le « lexinome », soit l’ensemble des gènes impliqués dans le langage et l’écriture, ainsi que leurs troubles (Gibson 2008). C’est la base d’un modèle psychobiologique intégré du langage, où l’on pourra identifier l’ensemble des structures et fonctions anatomiques indispensables à son émergence, pour produire un modèle à la fois évolutif, neurodéveloppemental et psycholinguistique.

Références :
Achermann H. (2008), Cerebellar contributions to speech production and speech perception: psycholinguistic and neurobiological perspectives, Trends Neurosci., 31(6), 265-72.
Enard W. et al. (2002), Molecular evolution of FOXP2, a gene involved in speech and language, Nature, 418(6900), 869-72.
Gibson C.J., J.R. Gruen (2008), The human lexinome: genes of language and reading, J Commun Disord, 41(5), 409-20.
Lai C.S. et al. (2001), A forkhead-domain gene is mutated in a severe speech and language disorder, Nature, 413(6855), 519-23.
Li G. et al. (2007), Accelerated FoxP2 evolution in echolocating bats, PLoS ONE, 2(9):e900.
Teramitsu I., S.A. White (2008), Motor learning: the FoxP2 puzzle piece, Curr Biol., 18(8), R335-7.
Yong E. (2008), The evolutionary story of the « language gene », New Scientist, 2669.

2 commentaires:

Vince a dit…

pourquoi pas ?
étant arrivé par mes seuls moyens à vaincre mon bégaiement, je vous avoue que je suis quelque peu sceptique sur la fin... la plupart des troubles du langage proviennent d'un trouble de la communication avant tout - dont les parents sont bien souvent les principaux responsables : la communication - et donc le langage - est avant tout question d'apprentissage.

C. a dit…

La dernière phrase ne contredit pas votre expérience. Un enfant enfermé ses quatre ou cinq premières années ne pourra jamais avoir un langage "normal" ou "fonctionnel", même s'il fut doté d'un bagage génétique et neuronal idoine au départ. Ni le gène ni le neurone (encore moins) ne sont des éléments immuables. Donc, un modèle complet intégrera une (grosse) part psycholinguistique consacrée notamment aux échanges avec les autres locuteurs au cours du développement. Et il faut aussi penser aux interactions entre aires cérébrales linguistiques et non linguistiques (effet du stress sur l'expression, etc.).