30.8.08

Belligérance, bravoure et évolution

Pourquoi la guerre ? En première approximation, on peut y voir un trait irrationnel ou rationnel du comportement humain. Dans le premier cas, la guerre résulte par exemple de la disposition plus ou moins pathologique des leaders d’un groupe à s’engager dans la violence contre un autre groupe malgré le coût de celle-ci. Dans le second cas, la guerre survient si elle apporte des bénéfices au groupe belligérant excédant ses coûts. Pour la théorie de l’évolution et la biologie théorique, la guerre est un cas de figure intéressant, tout comme l’altruisme : elle est répandue à toutes les époques et parmi tous les groupes humains ; elle diminue par définition la fitness (survie et reproduction) de ses victimes directes ou indirectes. Soit elle est un produit dérivé malheureux d’autres capacités utiles à leurs porteurs (hypothèse irrationnelle) ; soit elle a sa logique propre pouvant faire l’objet d’une sélection positive (hypothèse rationnelle). Il faut noter que la « rationalité » en question ne concerne pas la psychologie de l’acteur individuel, mais simplement l’évaluation des conséquences de l’action collective en terme de survie / reproduction pour le groupe s’engageant dans la guerre.

Laurent Lehmann et Marcus W. Feldman (Université Stanford) ont développé un modèle de génétique des populations pour examiner l’évolution possible de deux traits masculins (la guerre étant presqu’exclusivement une affaire de mâles chez les primates humains ou non-humains) : la belligérance (disposition à s’engager dans un conflit) et la bravoure (disposition à la vaillance au combat augmentant la probabilité de victoire dans le conflit). Cela dans le cadre dont on pense qu’il fut celui du Paléolithique, des petites populations séparées spatialement et parvenant au bout d’un moment à l’épuisement des ressources sur leur territoire. Leur modèle montre que deux cas de figure au moins justifient la guerre du point de vue de la fitness moyenne des individus du groupe guerrier : celui où les mâles du groupe vainqueur se reproduisent avec les femelles du groupe vaincu ; celui où les femelles du groupe vainqueur bénéficient de l’extension des ressources pour la survie de leur descendance. La limite de taille du groupe est cependant imposée par l’hypothèse d’une base génétique à la belligérance et la bravoure et par la nécessité dans ce cas de parenté génétique de ses mâles (selon l’hypothèse de sélection de parentèle de Hamilton : le sacrifice d’un mâle au combat permet la survie de mâles apparentés et porteurs des gènes poussant au sacrifice), parenté qui est affectée progressivement par l’augmentation de la taille des groupes (et les migrations). Avec cette double contrainte d’héritabilité et de sélection de parentèle, le modèle permet une sélection positive sur la belligérance et la bravoure pour des groupes allant jusqu’à 50 individus adultes de chaque sexe. Mais si la belligérance et la bravoure sont des traits hérités culturellement et non biologiquement, la taille du groupe peut prendre n’importe quelle valeur sous certaines conditions spécifiques : il faut alors que les traits culturels affectent la ségrégation des groupes et renforcent la capacité reproductive des porteurs. Cette conclusion rejoint celles d’autres travaux de modélisation sur la co-évolution de l’altruisme coopératif en interne et compétitif en externe (voir ici par exemple nos recensions des travaux de Choi et Bowle 2007, Bernhard et al. 2006).

Référence :
Lehmann L., M.W. Feldman (2008), War and the evolution of belligerence and bravery, Proc Roy Soc B Bio Sci, doi :10.1098/rspb.2008.0842

(Merci à Laurent Lehmann de m’avoir communiqué son travail).

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