9.9.08

Syndrome de Cassandre

Je lis un point de vue de Nicolas Hulot et François Chérèque dans Le Monde, et je m’arrête dès l’attendu de la « démonstration », c’est-à-dire les trois premières lignes : « Au moment où les crises - énergétique, alimentaire, climatique, financière, sociale - convergent dangereusement et multiplient les victimes sur la planète, nous avons plus que jamais besoin d'Europe... » Quelles sont donc ces « crises » qui « multiplient les victimes » ? A-t-on des indices de mortalité grimpant en flèche ? Comment définit-on une « victime » ? Celle-ci est-elle mieux ou moins bien lotie aujourd’hui dans le passé face à des « crises » semblables, et sur quels critères au juste ? Le vocabulaire de « la crise » est suremployé depuis trois décennies. Les gens de ma génération ont grandi en entendant parler de la crise des matières premières, de la crise énergétique, de la crise économique, de la crise environnementale, de la crise climatique. Les annonces catastrophistes du rapport du Club de Rome sur les limites de la croissance (Meadows et al. 1972), qui furent un peu le point de départ symbolique de cette nouvelle ère, ont été démenties : non seulement l’humanité a gagné 2 milliards d’individus depuis cette date, mais les indicateurs de bien-être (espérance de vie, nutrition, éducation, PIB…) se sont améliorés à l’échelle globale. On assiste donc à un curieux décalage entre des discours de plus en plus alarmistes et une réalité qui l’est bien moins. Cela expliquant en partie ceci : le catastrophisme contrarié se réfugie dans l’hyperbole contrafactuelle, cette exagération exprimant son exaspération. La réalité n’a certainement pas atteint un état idéal – lequel n’existe pas en dernier ressort. Toutes les affaires humaines sont ponctuées de revers, crises, catastrophes au niveau local, toujours tragiques pour ceux qui les subissent. Mais l’absorption confuse de ces drames dans un discours global d’alarmisme indifférencié nuit à l’intelligence des situations comme à la recherche des solutions. L’adaptabilité humaine repose sur la rationalité et sur l’imagination, pas sur la sensibilité et la lamentation. Si le syndrome de Cassandre donne à ses victimes le confort moral d’inclure le pire dans toutes ses prédictions (« je vous l’avais bien dit »), il est inutile voire nuisible à ceux qu’il prétend aider.

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