17.9.08

Perspectives sur la mutation des corps

Quels seront les axes des mutations à venir de l’espèce humaine sur le plan physiologique ? Pour répondre à cette question, on peut prendre plusieurs perspectives.

D’un point de vue dynamique, les modifications se font et feront d’abord en vue de la santé et de la longévité. En premier lieu parce que l’évitement de la douleur et la peur de la mort sont des motifs puissants de l’action. En second lieu parce que l’essentiel des capitaux est aujourd’hui mobilisé dans cette perspective biomédicale. Il s’agira donc de minimiser le risque de maladies endogènes partiellement ou totalement héritables, de renforcer le système immunitaire dans sa résistance aux pathogènes, de contrer les processus dégénératifs liés à la sénescence des tissus et des organes.

D’un point de vue fonctionnel, il est probable que les transformations opérées sur l’homme favoriseront ce qui est perçu comme désirable dans la programmation actuelle de notre espèce, au-delà de la condition basique d’être en vie et en bonne santé. Par exemple, on peut supposer qu’en cas de choix possible pour soi et sa descendance, la plupart des individus désirant intervenir sur leur organisme préfèrent la beauté à la laideur, la robustesse à la chétivité, l’intelligence à la bêtise. Bien d’autres traits – comme ceux de la personnalité – ne font pas forcément l’objet d’une préférence marquée, ce qui n’empêche pas d’y opérer des choix sur le principe.

D’un point de vue technique, il est fort difficile de se projeter dans l’avenir compte-tenu de l’évolution rapide des connaissances et des applications. A court et moyen termes, les programmes de recherche déjà engagés permettent de prédire quelques cibles d’intervention. Ce sont principalement des molécules (les gènes et leurs produits), des cellules (les 200 familles de cellules spécialisées, productibles par des cellules souches) et des organes. Les modes d’intervention iront du remplacement d’un item défaillant par un autre de même nature, mais fonctionnel, à la substitution d’un item naturel par un item artificiel. Il est probablement que l’administration in situ de composants biologiquement actifs par des nanoparticules sera une technique de choix.

Dans tous les cas, il faut se garder de l’erreur de penser que tout cela sera très rapide. Cet optimisme volontiers mis en avant par certaines avant-gardes anglo-saxonnes (transhumanistes, extropiens) doit être pondéré par l’examen des réalités. Les techniques efficaces à l’échelle moléculaire / cellulaire reposent sur des connaissances fondamentales éprouvées, qui sont lentes à obtenir, des essais précliniques in vitro et sur l’animal, qui sont nécessaires aux preuves de concept, des essais sur l’homme, qui sont délicats à lancer.

Il existe par ailleurs de nombreuses résistances religieuses, idéologiques, morales à la transformation du corps humain. Elles sont globalement vaines, notamment parce que la mise au point des techniques de transformation se fait d’abord dans un cadre médical difficile à critiquer, et qu’une fois la technique acquise (phase la plus difficile), son usage à des fins non médicales sera assez aisé. Mais ces hostilités de certaines croyances religieuses ou laïques ont pour effet de ralentir la recherche. On ne doit pas négliger non plus les résistances psychologiques, notamment l’exigence de sûreté pour tout ce qui touche à notre corps ou celui de nos enfants. Enfin, le coût économique est et sera un frein à la diffusion rapide des anthropotechniques. Rien de cela ne s’oppose fondamentalement à la mutation. Mais tout suggère que le processus sera très graduel, comme toujours dans l’évolution.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Parmi les résistances à la mutation à venir de l’espèce humaine on peut citer d’ une part le bon sens qui, sans puiser dans la table des assertions fondamentales, apporte certaines réponses aux questions de tout ordre. Mais le sens commun qui se trouve dans toute les consciences est’ il philosophique ? Existe t’il un critère de décision rationnelle aux questions posées par le transhumanisme ?
Autres résistances à la marche triomphale du « transhumanisme « , les risques de contreproductivité chers à Illitch qui sont inhérentes au progrès. En effet, ceux-ci peuvent devenir un obstacle à la réalisation des objectifs poursuivis d' un monde plus confortable.

C. a dit…

Je ne pense justement pas qu'il y a un "sens commun" dans "toutes les consciences" sur ces questions. Le sens commun, s'il existe, concerne les situations pour lesquelles notre cerveau s'est adapté dans l'évolution. Regardez la chirurgie esthétique, le dopage génétique sportif, la thérapie génique, le diagnostic pré-implantatoire, le clonage reproductif... ce genre de problématiques inédites provoquent des positions très diverses (on est pour, contre, indifférent pour des motifs variables). Même si 80% des gens se disent contre et 20% pour, et que l'on qualifie le "contre" de "sens commun" quelles que soient ses motivations, cela ne changera pas tellement le principe de la mutation : elle engagera une minorité, comme c'est d'ailleurs le cas aujourd'hui pour les interventions "hors-norme" sur le corps.

Sur le contreproductivité, reste à la mesurer et la vérifier. Illich (et Dupuy après lui) a eu des intuitions, mais une intuition ne suffit pas à asseoir une vérité si l'on est dans l'ordre de la critique rationnelle : il faut apporter observations, modèles et éventuellement prédictions confirmant ses conjectures.