11.9.08

Benoît XVI vient nous enseigner la rationalité...

À l’occasion de la venue en France de Benoît XVI, le philosophe chrétien Jean-Luc Marion nous prévient que le pape posera les vraies questions à la fille aînée de son Eglise. Il écrit dans Le Monde :

« La crise la plus profonde, quoiqu'en un sens la plus secrète de notre époque, tient en effet à la dilution, l'évanescence ou peut-être même la disparition d'une rationalité apte à éclairer les questions qui dépassent la gestion et la production des objets, mais qui décident de notre manière de vivre et de mourir. Rarement la philosophie (et la "science") n'a pu en dire moins qu'aujourd'hui sur notre condition - ce que nous sommes, ce que nous pouvons savoir, ce que nous devons faire et ce qu'il nous est permis d'espérer. Ce désert asséché de rationalité se nomme le nihilisme. Ce n'est pas une hypothèse en l'air, facultative, mais un fait. Notre tragédie. »

Un « fait » ? Voilà bien la manière chrétienne : je développe mon interprétation personnelle (conforme à mes convictions mystiques), et je décrète sa dimension universelle. Affirmer que la rationalité de la philosophie et de la science (entre guillemets, on se demande pourquoi) n’a jamais aussi peu éclairé ce que nous sommes et ce que nous pouvons savoir est une aimable plaisanterie. Nous n’avons jamais eu autant de connaissances positives sur notre condition, nous n’avons jamais produit autant de savoirs sur l’homme et l’univers, nous n’avons jamais autant réfléchi aux fondements de ces connaissances et à leurs conditions de vérité. Sur ce que nous devons faire, on en débat beaucoup (et bien trop à mon goût), comme en témoigne par exemple la richesse des discussions en philosophies politique et morale. Quant à ce qu’il est permis d’espérer, ceux qui ne se satisfont pas d’une vie belle et bonne sur cette Terre ont entière liberté de croire à une autre existence dans un autre monde. Je leur retourne évidemment le qualificatif de Marion : ce sont eux, les véritables « nihilistes », incapables de trouver sens dans la réalité, inaptes à vivre à hauteur de leurs désirs, ce sont eux les animaux malades, jamais satisfaits de ce monde qui leur est donné, toujours prêts à le déprécier pour le néant de leur arrière-monde inexistant.

Que les réponses aux questions humaines apportées par les scientifiques et les philosophes déplaisent aux oreilles chrétiennes, c’est une chose. Mais que la rationalité des chercheurs et des penseurs soit ipso facto qualifiée de « désert », qu’on affirme son « évanescence » et sa « disparition », c’est un déni de réalité et une prétention au monopole de vérité qui témoignent à nouveau de la surdité profonde de la foi à toutes les propositions n’incluant pas ses attendus métaphysiques.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Etes-vous si certain que Marion parle plus en tant que chrétien (comme le laisse entendre son vocabulaire et le ton de cet article) qu'en tant que phénoménologue (ce qu'une familiarité avec cette philosophie indique) ? Après tout, on pouvait lire la même chose sous la plume de Martin Heidegger ou de Maurice Merleau-Ponty et ni l'un ni l'autre n'étaient chrétiens.

Vous me direz peut-être que l'un était nazi, que l'autre était communiste et que ce sont là deux façons dérivées d'être chrétiens : vous n'auriez pas tort, mais comme vous qui citiez Carl Schmitt vous devez savoir que les concepts prégnants aujourd'hui ne sont rien d'autre que de la théologie sécularisée. Vous-même, et je dis cela sans intention de vous offenser, ni volonté polémique, vous vous opposez aux religions, et singulièrement au catholicisme, d'une manière qui évoque plus la religion ou la foi elle-même, qu'autre chose.

C’est d’ailleurs un constat général que je fais en lisant les «athées militants» (appelons-les comme ça par pure convention). Peut-être est-ce une déformation de ma part, mais il se trouve que j’ai une bonne connaissance des controverses religieuses (notamment celles de l’époque classique), eh bien, combien de fois ne dois-je constater que la rhétorique, l’argumentation, etc. qu’employaient les protestants au XVIIe siècle (par exemple) se retrouvent présentes, presque intactes, chez des gens qui se disent, pourtant, profondément athées et libéré de la religion ?

C. a dit…

Vous êtes certainement meilleur philosophe que moi. L'ensemble du texte suggère que Marion s'y exprime comme penseur chrétien, et je ne sais pas trop à quoi l'on reconnaît un argumentaire proprement phénoménologique, en fait.

N'ayez aucune réserve sur l'athéisme militant, je dois sûrement entrer dans cette catégorie. Je reconnais bien volontiers que je suis intellectuellement indisposé par la religion en général, le monothéisme en particulier, le catholicisme plus précisément encore. Quand je faisais remarquer voici quelques semaines que certains textes provoquent chez moi des allergies, les professions de foi métaphysiques en font partie. (Et les injonctions morales plus encore, y compris de la part des humanistes athées).

Cela dit, je ne partage pas une partie de la critique athée habituelle, son progressisme, son militantisme égalitaire, certaines de ses falsifications historiques, etc. Cela ne me dérange pas qu'un religieux vive dans ses brumes, voire dans sa secte, chacun cherche sa voie, chacun vit dans son éthique, son esthétique, etc. C'est la prétention du même religieux à convertir les autres que je ne supporte pas, de même que la dissimulation de certains présupposés hors desquels sa pensée est incompréhensible. (J'ai bien sûr des présupposés matérialistes et rationalistes symétriques, mais je le dis clairement et ils sont en quelque sorte contenus dans mon argumentation ; dans un discours religieux du type Marion, l'argumentation en apparence rationnelle est bien souvent au service d'un non-dit, ce que cette argumentation essaie de démontrer et qui relève en fait de la foi, plus du tout de la raison).