16.9.08

Justice et morale prisonnières de nos sens

La justice comme la morale sont d’abord affaires de sentiments, d’émotions, de sensations. C’est la raison pour laquelle on a démontré l’existence d’une proto-justice et d’une proto-morale chez des animaux non humains, de même que l’on a observé l’activation des zones limbiques du cerveau dans les situations de dilemmes moraux. On aura beau démontrer par A+B que telle décision est juste, celui qui ressent des affects négatifs du fait de cette décision ou de ses conséquences la trouvera injuste. On aura beau fonder la morale dans le pur royaume d’une axiomatique rationnelle, celui qui est dégoûté, horrifié, effrayé par un acte, sa perspective ou ses conséquences le décrétera mauvais. Nos désaccords axiologiques résultent en dernier ressort de différences psychologiques et biologiques. Cela ne résout pas le problème de la décision juste ou du choix moral : cela montre que ce problème n’admet pas de solution unique dans l’ordre de la perception de ce qui est juste ou moral. Voudrait-on s’en sortir par une rationalisation de la question, l’on ne ferait que repousser le problème, puisqu’une bonne part des humains ne rationalisent pas cette question, et perçoivent la rationalisation elle-même comme injuste ou immorale. Les rationalistes : une tribu humaine parmi bien d'autres, ayant beaucoup de mal à se percevoir comme telle.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Ça me fait penser à Nietzsche qui disait déjà que toute morale indiquait fondamentalement le caractère de celui qui l'énonce. Dans ma vie personnelle, il me semble que les gens qui sont plutôt à droite ont tendance à être moins empathiques au sort des autres et inversement. Enfin, simple constatation personnelle, avec la valeur de vérité qui vient avec...

C. a dit…

Cela dépend. Le nationalisme, qui est certes né à gauche mais est plutôt classé à droite aujourd'hui, propose un discours fortement empathique avec les "nationaux" (à l'exclusion des autres, dans une logique tribale eux/nous). Diverses formes de pensées conservatrices ou traditionalistes d'inspiration chrétienne ont également une certaine charge empathique vis-à-vis des semblables.

Anonyme a dit…

Je disais "moins" et non "aucun". L'exemple patriotique ne fait que confirmer ce que je dis. L'altermondialiste étend son empathie au monde entier alors que le nationaliste, dit plus à droite, l'étend à une catégorie plus restreinte de personnes.

C. a dit…

On pourrait distinguer l'intensité empathique d'un discours et l'extension empathique de ce discours. En intensité, un nationaliste et un altermondialiste se valent. En extension, non.

Attenton : l'altermondialiste a souvent des ennemis : les profiteurs, les pollueurs...les gens de droite. Mine de rien, cela fait du monde !

Anonyme a dit…

mon idée est peut-être pas parfaite, mais je vais essayer de la défendre un peu. Le nationaliste est plus dans un rapport entre lui et les autres comme lui. Sa nation n'inclut pas nécessairement les "lâches" assistés sociaux ou les artistes inutiles. En clair, il n'y a de place que pour le valeureux et pas pour le malheureux. En ce qui concerne l'altermondialiste, s'il n'aime pas le "méchant", cela me semble normal dans la mesure où celui-ci est contre tout ce à quoi il accorde de la valeur, c'est-à-dire le malheureux. Je répète que je ne tiens pas mordicus à mon idée, mais je pense qu'elle se tient un brin.

C. a dit…

En fait, une idéologie est toujours un discours complexe faisant appel à bien des dispositions et à bien des cristallisations de ces dispositions au cours de l'existence. De plus, si l'on descend à l'individu on va trouver des gens divers parce qu'attirés par tel ou tel aspect du discours ou de la pratique de l'idéologie. Par exemple, un altermondialiste marxiste et un altermondialiste écologiste ont quelques visées communes, mais aussi des désaccords (un marxiste devrait faire primer le bien-être économique de l'humain, alors qu'un écologiste devrait soumettre ce bien-être à des considérations sur l'équilibre et le bien-être du non-humain). De même, un nationaliste conservateur d'origine bourgeoise et un nationaliste populaire d'origine prolétaire n'auront sans doute pas tout à fait la même idée de ce qu'il faut faire de la nation, une fois admis que les non-nationaux et les anti-nationaux sont la menace ou l'adversaire.

En restant dans l'idée que l'on essaie de décrire une raison "moyenne" d'agir pour un type "moyen" d'acteur, notez que vous justifiez l'animosité altermondialiste contre telle ou telle catégorie en écrivant : "cela me semble normal dans la mesure où celui-ci est contre tout ce à quoi il accorde de la valeur". Mais de ce point de vue, c'est aussi "normal" pour le nationaliste de ne pas aimer les personnes qui sont dans son esprit "contre tout ce à quoi il accorde de la valeur".

Sinon, je pense que le discours internationaliste est forcément plus altruiste que le discours nationaliste, au moins dans les intentions affichées, puisqu'il veut le bonheur et l'émancipation du plus grand nombre, sans se limiter à tel sous-ensemble, et en refusant un jeu à somme nulle où le bonheur des uns se réaliserait par le malheur des autres.