16.9.08

L’intuition des nombres et la réussite mathématique

Les travaux récents des sciences cognitives ont montré que les compétences mathématiques des humains trouvent leurs sources dans deux systèmes différents de représentation. Le premier résulte de l’apprentissage des symboles formels des mathématiques et de leurs relations logiques. Il est de nature verbale et on ne le trouve que chez Homo sapiens au cours de son développement. Le second système est formé par des intuitions plus basiques sur la quantification des objets de l’environnement. De nature non-verbale, il est présent chez les bébés et chez les animaux non-humains. Ce système ancestral a probablement été sélectionné dans l’évolution comme favorable à l’évaluation de certaines situations, dans la recherche de nourriture (juger l’abondance relative d’une source nutritive) ou de partenaires sexuels (analyser le nombre de compétiteurs/reproducteurs). Au-delà des petits nombres (1, 2, 3), le système intuitif de numérosité obéit à la loi de Weber (constante de proportionnalité selon laquelle l’écart-type des réponses est proportionnel à la moyenne). L’estimation des grands nombres en représentation mentale ne suit pas une échelle linéaire, mais logarithmique. Et les sujets présentent des résultats semblables quand il estime le rapport (additif, soustractif) de deux grands nombres, qu’ils soient présentés par des stimuli auditifs ou visuels.

Dans une étude parue voici quelques mois dans Science, Stanislas Dehaene et son équipe se sont penchés sur l’intuition des nombres dans une culture amazonienne indigène (les Mundurucu) et dans une culture occidentale. Les Mundurucu possèdent un lexique numérique très limité et n’ont pas développé d’outils mathématiques de mesure. 33 sujets indiens, enfants et adultes, ont dû évaluer des numérosités selon une représentation spatiale, comme nous le faisons avec nos règles : des ensembles de points devaient être classés de gauche à droite en fonction de la quantité des éléments. Le même exercice était accompli avec des séries de sons. Il en résulte que malgré la pauvreté des dénominations lexicales de la numérosité, les Mundurucu montrent des performances comparables à celles des sujets occidentaux à tous les âges. En revanche, dès les petites quantités (entre 1 et 10), ils opèrent des classements logarithmiques, alors que les enfants occidentaux choisissent des rangs linéaires. Pour les grandes quantités, les représentations mentales sont identiques et logarithmiques (fraction de Weber). La cartographie mentale des nombres dans l’espace semble donc innée, mais leur échelle linéaire est acquise par l’éducation.

Cette semaine dans Nature, une autre équipe menée par Justin Halberda s’est attachée à évaluer les compétences mathématiques des enfants en fonction de leurs différences de numération intuitive. Leur étude longitudinale a suivi 64 enfants au développement normal, de 3 ans à 14 ans. Les chercheurs ont mesuré la précision du système approximatif et intuitif des nombres, puis l’ont comparé aux résultats aux épreuves mathématiques des enfants au cours de leur scolarité. Conclusion : il existe une corrélation positive entre ces deux mesures, qui restent constantes dans le développement et significatives une fois pris en compte les autres capacités cognitives. Les anciens modules adaptatifs mis en place au cours de l’évolution conservent donc un pouvoir prédictif sur nos performances dans le cadre éducatif moderne.

Références :
Halberda, J., M. Mazzocco, L. Feigenson (2008), Individual differences in nonverbal estimation ability predict maths achievement, Nature, online pub, doi :10.1038/nature07246
Dehaene S. et al. (2008), Log or Linear? Distinct intuitions of the number scale in Western and Amazonian indigene cultures, Science, 320. 1217-1220, doi :10.1126/science.1156540

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