13.9.08

Suites papales

Dans Le Figaro, le philosophe (chrétien toujours) Rémi Brague s’interroge sur le sens de la venue du pape. Dans son propos, je relève : « Les Lumières françaises, à la différence du reste de l'Europe, tournèrent parfois à un athéisme radical. Depuis peu, cette haine s'étale avec une violence accrue. Et peu importe qu'elle fasse mine de porter sur « les religions », « les monothéismes », etc. ou qu'elle avoue franchement son véritable objet. »

Je ne comprends pas à quoi il est fait allusion dans cette phrase elliptique. On sait que certaines personnes trouvant qu’il y a trop d’Arabes en France et en Europe s’en prennent à l’islam, ou d’autres au judaïsme s’ils ont un compte à régler avec les Juifs. Je ne crois pas que ce genre de posture xénophobe à enrobage antireligieux soit très fréquent dans le milieu intellectuel dont parle R. Brague. Quant au « véritable objet » d’un « athéisme radical », il me semble : poser la totale liberté de conscience, d’opinion et d’expression des individus, pour les vues religieuses comme les vues irreligieuses ou antireligieuses ; refouler toute religion dans la sphère privée des personnes ; combattre toute tentative d’imposer une politique ou une éthique commune sur la base d’assertions religieuses non rationnelles et non consensuelles dans la société ; favoriser la diffusion de l’information scientifique pour lutter contre les penchants magiques et mystiques du cerveau humain et les discours qui les instrumentalisent à leur profit ; rappeler le passif des religions (et singulièrement des monothéismes) lorsqu’elles furent au pouvoir au cours des deux millénaires écoulés (persécution des déviants et hérétiques, obéissance dogmatique à la vérité révélée et stagnation ou ralentissement des connaissances positives, imposition de codes moraux et comportementaux uniques pour tous les individus, légitimation des croisades et « guerres justes », christianisation ou islamisation par la force des populations réfractaires, destruction de certains héritages intellectuels et culturels non conformes à la nouvelle foi, etc.).

« Mais je crains que, des deux côtés, les Français ne ratent l'occasion de se poser quelques bonnes questions : comment vivre en paix les uns avec les autres, et avec le passé de tous ? Peut-on prendre comme principe : n'importe quoi, le meilleur comme le pire (les exemples sont au choix), mais en tout cas pas le christianisme ? Un peuple qui renonce à sa foi peut-il encore désirer vivre ? »
Comment vivre en paix ? En imposant cette paix par la loi, c’est-à-dire en punissant toute agression contre autrui, et en laissant les individus / communautés libres de s’organiser sur la base de ce principe simple mais ferme de non-agression. Quel principe choisir ? Les principes minima pour vivre en commun issus de l’évolution de nos sociétés (respect des vies privées et libertés publiques). Peut-on vivre sans foi religieuse ? Il suffit de regarder autour de soi, les athées et agnostiques (quatrième « croyance » mondiale) ne se suicident pas en masse, merci pour eux. Les individus ayant une foi religieuse semblent persuadés que l’on ne peut pas vivre sans elle : mais cela signale simplement un manque d’empathie et d’empirisme, une incapacité à concevoir que l’autre ne raisonne pas comme soi (incapacité partagée par certains athées, précisons-le). Et le cerveau étant de toute façon une machine à croire, chacun va s’inventer des récits donnant du sens à son existence, sans qu’il soit besoin d’obéir aveuglément à une pyramide doctrinale autoritaire dont Benoît XVI est l’actuel sommet. Contrairement à ce que pense Brague, les "bonnes questions" ont été posées depuis longtemps : la modernité tout entière est une question sur la manière de vivre ensemble dans des sociétés ouvertes plutôt que closes, dynamiques plutôt que statiques, pluralistes plutôt qu'unitaires, à la population nombreuse et hétérogène plutôt que peu nombreuse et homogène. Il apparaît que la religion comme l'idéologie sont incompatibles avec ce vivre-ensemble dès lors qu'elles prennent des atours intégristes et intolérants, toute tentative pour imposer aux masses des manières ou des opinions uniformes se soldant par la violence.

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