
L’identification des différences génétiques entre l’homme et les hominidés non humains n’est que la première phase du travail des chercheurs. Car ce que l’on vise à expliquer en dernier ressort, ce sont les traits humains, c’est-à-dire le phénotype. Beaucoup d’entre eux sont déjà présents chez les primates et diffèrent en degré plutôt qu’en nature. D’autres semblent spécifiques. Le phénotype humain comporte donc de nombreuses caractéristiques dont il faut expliquer l’évolution et le développement depuis leurs bases génétiques : la taille du cerveau, l’asymétrie corticale, la bipédie, le langage, la conscience de soi d’ordre supérieur et la théorie de l’esprit, la longévité, la néoténie, la ménopause, la quasi-absence de pilosité corporelle, la baisse des aptitudes olfactives, la capacité à courir de longues distances et à nager, le développement de certains caractères sexuels primaires et secondaires (sein avant la puberté, taille pénienne, ovulation cachée), etc. Nous n’en sommes qu’au tout début de cette analyse car, si de nombreux gènes à sélection positive récente ont déjà été identifiés, leur rôle complet dans l’expression phénotypique est rarement connu. On a par exemple identifié en 2005 deux gènes ayant connu une pression adaptative au cours de l’hominisation et qui semblent impliqués dans la taille du cerveau (ASPM, MCPH1) ; mais ces gènes ont d’abord été repérés depuis des pathologies humaines (microcéphalie) sans que l’on connaisse leur rôle dans les variations normales du cerveau, et l’importance de la sélection directionnelle récente a été contestée pour l’un d’entre eux. Il ne faut donc pas minimiser l’ampleur ni la difficulté des tâches en génomique comparée.
Dans leurs conclusions, les trois auteurs ajoutent un niveau supplémentaire de complexité et de réflexion : l’interaction génome-environnement et la plasticité comportementale. C’est un fait que les animaux à sang chaud en général, les mammifères et primates en particulier, présentent des réponses moins stéréotypées aux stimuli de leur milieu, avec une croissance plus lente des jeunes et un rôle plus important de divers apprentissages dans la survie. Les humains expriment ce trait bien plus que les autres espèces, comme en témoigne l’importance prise par le langage, la culture et la technique dans l’hominisation. On trouvera certainement les traits génétiques qui concourent à cette disposition à l’adapativité développementale et la plasticité comportementale, mais qui n’en expliqueront évidemment pas le contenu. L’interaction gène-culture, c’est-à-dire les entrecroisements de l’évolution biologique et de l’évolution culturelle, forme donc un autre niveau d’analyse. Et le débat reste ouvert pour savoir si le trait le plus humain n’est pas finalement la liberté acquise par rapport au jeu strict des déterminations génétiques à l’œuvre dans le vivant. Un pessimiste ajouterait : de savoir aussi si cette liberté, dont l’existence reste à démontrer, se révèle… viable.
Référence et illustration :
Varki A. et al. (2008), Human uniqueness: genome interactions with environment, behaviour and culture, Nature Reviews Genetics 9, 749-763, doi:10.1038/nrg2428
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