26.9.08

Génétique de l'hominisation

Qu’est-ce qui rend l’humain unique ? Ajit Varki, Daniel H. Geschwind et Evan E. Eichler se penchent à nouveaux frais sur cette vieille question en proposant une synthèse de ce que l’on sait aujourd’hui sur les différences génétiques entre les humains et leurs plus proches cousins dans l’évolution, les hominidés non humains (chimpanzés, gorilles, orangs-outans).

L’ancêtre commun de l’homme et du chimpanzé aurait vécu voici 5 à 10 millions d’années, fourchette ayant tendance à s’élargir ces dernières années. En l’absence de restes fossiles suffisamment nombreux, elle est reconstruite par la phylogénie moléculaire dont le calibrage repose sur une bonne appréciation du rythme des mutations aléatoires et neutres du génome. Les différences génétiques entre l’homme et le chimpanzé sont aujourd’hui évaluées à 4 % de leurs génomes respectifs. On avait d’abord recherché du côté des régions génétiques fonctionnelles, codant pour les protéines (2 % de différence), mais les régions non-codantes conservées, dont la fonction reste largement inconnue, montrent elles aussi des évolutions génétiques entre les deux espèces (2 % également). Ces dix dernières années ont été marquées par la mise en lumière de plusieurs aspects nouveaux dans l’évolution comparée des génomes : le rôle des changements structurels (insertions, délétions, duplication), notamment sur certaines zones des chromosomes (inversions péricentriques), l’importance de la régulation de l’expression génique (facteurs ARN de transcription, promotion, activation), la duplication de gènes et le rôle des variations du nombre de copies (CNV). Ajoutons que la perte de certains gènes (hypothèse « moins c’est plus » d’Olson) peut également présenter des effets adaptatifs au cours du développement. Le tableau est évidemment bien plus complexe que ne l’était le modèle initial de la génétique (un gène > une protéine). Et cette complexité est accrue par l’organisation de l’ADN en réseaux et systèmes : la simple position d’un gène peut affecter l’expression d’un autre. Les analyses dites WCGNA (Whole Genome Network co-expression Analysis) tentent ainsi depuis peu d’observer le rôle fonctionnel de la topologie dans ces réseaux de gènes. L’illustration ci-contre montre par exemple les corrélations d’expression de 300 gènes humains dans le noyau caudé du cerveau (a) et celles qui sont absentes chez le chimpanzé (b), quoique les gènes homologues soient présents.

L’identification des différences génétiques entre l’homme et les hominidés non humains n’est que la première phase du travail des chercheurs. Car ce que l’on vise à expliquer en dernier ressort, ce sont les traits humains, c’est-à-dire le phénotype. Beaucoup d’entre eux sont déjà présents chez les primates et diffèrent en degré plutôt qu’en nature. D’autres semblent spécifiques. Le phénotype humain comporte donc de nombreuses caractéristiques dont il faut expliquer l’évolution et le développement depuis leurs bases génétiques : la taille du cerveau, l’asymétrie corticale, la bipédie, le langage, la conscience de soi d’ordre supérieur et la théorie de l’esprit, la longévité, la néoténie, la ménopause, la quasi-absence de pilosité corporelle, la baisse des aptitudes olfactives, la capacité à courir de longues distances et à nager, le développement de certains caractères sexuels primaires et secondaires (sein avant la puberté, taille pénienne, ovulation cachée), etc. Nous n’en sommes qu’au tout début de cette analyse car, si de nombreux gènes à sélection positive récente ont déjà été identifiés, leur rôle complet dans l’expression phénotypique est rarement connu. On a par exemple identifié en 2005 deux gènes ayant connu une pression adaptative au cours de l’hominisation et qui semblent impliqués dans la taille du cerveau (ASPM, MCPH1) ; mais ces gènes ont d’abord été repérés depuis des pathologies humaines (microcéphalie) sans que l’on connaisse leur rôle dans les variations normales du cerveau, et l’importance de la sélection directionnelle récente a été contestée pour l’un d’entre eux. Il ne faut donc pas minimiser l’ampleur ni la difficulté des tâches en génomique comparée.

Dans leurs conclusions, les trois auteurs ajoutent un niveau supplémentaire de complexité et de réflexion : l’interaction génome-environnement et la plasticité comportementale. C’est un fait que les animaux à sang chaud en général, les mammifères et primates en particulier, présentent des réponses moins stéréotypées aux stimuli de leur milieu, avec une croissance plus lente des jeunes et un rôle plus important de divers apprentissages dans la survie. Les humains expriment ce trait bien plus que les autres espèces, comme en témoigne l’importance prise par le langage, la culture et la technique dans l’hominisation. On trouvera certainement les traits génétiques qui concourent à cette disposition à l’adapativité développementale et la plasticité comportementale, mais qui n’en expliqueront évidemment pas le contenu. L’interaction gène-culture, c’est-à-dire les entrecroisements de l’évolution biologique et de l’évolution culturelle, forme donc un autre niveau d’analyse. Et le débat reste ouvert pour savoir si le trait le plus humain n’est pas finalement la liberté acquise par rapport au jeu strict des déterminations génétiques à l’œuvre dans le vivant. Un pessimiste ajouterait : de savoir aussi si cette liberté, dont l’existence reste à démontrer, se révèle… viable.

Référence et illustration :
Varki A. et al. (2008), Human uniqueness: genome interactions with environment, behaviour and culture, Nature Reviews Genetics 9, 749-763, doi:10.1038/nrg2428

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