19.9.08

Mon dieu, protégez-nous du relativisme décadent...

La « libération » de la parole religieuse (catholique surtout) souhaitée par Nicolas Sarkozy et Benoît XVI poursuit ses effets dans Le Figaro, où l’éditorialiste Yvan Rioufol y va de son homélie.

« Les catholiques français se révèlent, à l'initiative de Benoît XVI, les héritiers d'une culture millénaire qui s'effrite. Pourtant, un républicanisme sectaire persiste dans un laïcisme qui a pour effet d'accélérer l'effacement de toute pensée spirituelle. Faut-il se satisfaire du bilan des ‘progressistes’, qui se sont octroyé le monopole des Lumières et de la morale ? L'accumulation des désastres, dont les jeunes sont les victimes, invite à écouter ce que les religions ont à dire : l'occasion, pour la France, de renouer avec son identité déclinante. »

Je peine à identifier les terribles manœuvres d’un républicanisme laïc parvenant à effacer toute pensée spirituelle. Y a-t-il encore tant de hussards noirs que cela dans l’Education nationale ? Et de toute façon, cette école publique a-t-elle pour mission d’enseigner les religions, en lieu et place des parents, de l’église, du temple, de la synagogue ou de la mosquée ? Quant à « l’accumulation de désastres » dont la jeunesse est victime, on s’interroge aussi sur leur nature et sur la responsabilité de la pensée laïque. Si ce sont les chiffres du suicide, de la drogue et de la délinquance, il faudrait d’abord vérifier que les sociétés industrialisées restées fortement religieuses (Etats-Unis par exemple) ont des taux significativement plus faibles que les autres (Union européenne par exemple) et démontrer ensuite que la prégnance du discours religieux explique ces différences sociologiques ou épidémiologiques. Je ne connais pas de telles études et, en tout état de cause, Rioufol ne les mentionne pas. Faute de plus amples informations, on supposera que c’est donc l’habituel blabla conservateur qui tient paresseusement ses idées reçues pour paroles d’Evangile.

« Dans la France sécularisée, les religions sont attendues pour corriger un relativisme décadent. Le phénomène se lit dans les sondages. Apparu aux États-Unis dès les années 1980, ce mouvement de fond invite les Églises à prendre place dans les débats publics sur l'aide sociale, l'immigration, l'environnement, l'éducation, l'éthique médicale, etc. Les états généraux de la bioéthique s'ouvriront d'ailleurs à ces courants de pensée, comme l'a promis Sarkozy au Pape. Aux catholiques de s'y montrer pertinents. »

Nous y voilà, les philosophes Chantal Delsol ou Rémi Brague le disaient à mots couverts, l’éditorialiste politique qu’est Rioufol y va plus franchement : la religion va nous sauver du « relativisme décadent ». Et pour cela, les courants religieux vont peser sur les grands débats de société, en espérant bien sûr que les Etats entérinent par la loi leur morale particulière. Laquelle ne sera pas relativiste, par définition, mais bien absolutiste (et pour cause, quand on croit qu’il existe une vérité morale universelle et que celle-ci découle d’un livre sacré, interprété par une caste religieuse).

Inutile de dire que ce genre d’éditorial n’est pas de nature à apaiser les ires du « laïcisme ». Il s’y dessine une conception très particulière de la « laïcité positive » : intégrer les visions religieuses dans la discussion et la décision politiques. On en verra très concrètement l’effet en France en 2009, quand la révision des lois dites de bio-éthique au Parlement sera l’occasion, comme à chaque fois, d’observer les menées des élus croyants pour défendre une conception liberticide de l’usage de son corps et des innovations biotechnologiques. Car l’enjeu de tous ces propos un peu abstraits est là : édicter des interdits généraux conformes à ses convictions particulières ; refuser que les attendus moraux de la foi soient cantonnés dans le domaine personnel des individus (ce qui serait « relativiste ») et militer pour qu’ils s’imposent à toute la société, même si l’on se gardera bien d’invoquer directement Dieu ou ses représentants sur Terre. Le travail mené sur certains concepts comme la dignité humaine ou certaines problématiques comme le statut de l’embryon a ainsi pour but de produire à destination de l’opinion et des décideurs un argumentaire en apparence laïc, mais d’inspiration religieuse.

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