6.9.08

Du je au Il, physique de la subjectivité

Le dualisme corps-esprit imprègne notre pensée et notre langage : « Les athlètes sont au top du point de vue physique, et ils ont surtout un mental en acier » ; « tu es en forme, c’est dans la tête que cela ne va pas », « je pense donc je suis » (et non « je digère, je copule, j’urine… donc je suis »), etc. Que l’esprit et le corps soient un seul système biologique unifié, que le « je » ne soit pas une mystérieuse instance séparée et surplombante, que l’association de tout le système nerveux à tous les autres systèmes internes de régulation et à tous les systèmes externes de représentation produise ce « je » dont l’essentiel de l’activité cérébrale au cours de l'existence est inconscient, voilà qui peine à éclore dans nos représentations individuelles et collectives. Toutes les cultures ne sont pas aussi dualistes, le judéo-christianisme et ses suites modernes (cartésiennes, kantiennes, au-delà) le sont plus que d’autres. Mais la distinction corps-esprit n’est pas qu’un artefact culturel imposé aux individus par leur société d’appartenance, elle a aussi et surtout une base biologique chez l’individu, évolutive et développementale. L’émergence de la conscience a signifié l’émergence de la croyance dans un monde « séparé » dont le langage est l’outil. Il est préférable pour survivre de croire à ses propres représentations (je crois que si je mange cette baie, je vais mourir ; si je ne crois pas à la robustesse de ma croyance, je risque de mourir) et l’appropriation de telles croyances sera d’autant plus efficace qu’elles sont attribuées à un agent causal interne et unique, le « je » (qui meurt, qui meurt s’il mange ceci, qui croit qu’il meurt s’il mange ceci), ultime et unique instance arbitrale, sujet des propositions de son langage comme des actions de son existence. On peut faire l’hypothèse que dieu et ses équivalents cognitifs sont l’extériorisation de cette disposition représentationnelle interne : de même que le « je » serait un agent causal interne, séparé, capable de dominer le mental et d’ordonner le physique au mental, « Il » (dieu ou autre) serait un agent causal externe, séparé, ayant dominé et ordonné l’ensemble du monde à sa volonté. Vieille confusion entre l’Agent Interne et l’Agent Externe réputés omniscients dans leurs sphères respectives d’influence. Avant la « métaphysique de la subjectivité », il y a donc une physique de la subjectivité à explorer.

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