Polytechnicien et ingénieur des Mines, ancien chercheur à l’Inria, directeur scientifique de la société Esterel technologies, Gérard Berry est également professeur associé au Collège de France, chaire de l’Innovation technologique. Ce petit essai est constitué de sa leçon inaugurale. Ce n’est donc pas un enième livre à thèse, mais une courte et utile introduction à la société de l’information.
La plupart des textes sur le numérique et l’informatique envisagent les conséquences sociales, politiques et économiques du phénomène, par exemple la manière dont l’Internet modifie les rapports interpersonnels, l’accès à la culture et au divertissement, le commerce, le management, etc. Mais avant d’explorer ainsi les conséquences, il est toujours intéressant de bien comprendre les causes. Car, remarque G. Berry, si bien des gens se déclarent surpris par les progrès du numérique et les transformations associées, c’est avant tout parce qu’ils abordent la question avec un « schéma mental inadapté », signe d’un défaut de « bon sens informatique ».
Le numérique est une affaire de langage : la réalité est écrite avec deux chiffres 0/1, unités d’information (bit) fondamentales dont la combinatoire permet des variations infinies. La numérisation est une discrétisation, c’est-à-dire la création de petites unités discontinues là où nous percevons parfois un ensemble continu. Une lettre de l’alphabet aura un certain code en 0 et 1, de même qu’un point d’une image, un son d’une mélodie ou un élément d’une force mécanique. Ce langage a besoin d’une grammaire : ce sont des algorithmes génériques, c’est-à-dire des méthodes (mathématiques) pour calculer et transporter ces successions de 0 et de 1, et des algorithmes spécifiques, c’est-à-dire des codes d’interprétation particulière (par exemple, trouver une faute dans un texte, éclaircir une image, accélérer une musique, varier une force dans un modèle ou un automate, etc.). Ce langage a enfin besoin d’un support : la fameuse puce en silicium, qui équipe non seulement les ordinateurs, mais aussi bien les téléphones, les fours, les appareils photos, les voitures, les avions… Cette puce est constituée de circuits intégrés, des nano-rectangles en couches conducteurs, semi-conducteurs ou isolants, dont les transistors forment des portes logiques ou des points mémoires pour effectuer les calculs numériques. Le grand avantage du numérique, c’est son ubiquité due à l’indépendance du support : on peut toute écrire sur du silicium, alors qu’il fallait jadis du papier pour les textes, du vinyle ou des bandes magnétiques pour les sons, du celluloïd pour les images, des fils de cuivre pour le téléphone, etc.
Le point le plus intéressant de l’essai de Berry est certainement l’introduction à la dimension scientifique de cette numérisation du monde. L’auteur présente succinctement les différentes branches de l’algorithmique, de la théorie de la programmation et de la théorie de l’information — et l’utilisateur béotien de son PC découvre que la chasse aux bugs fait appel aux branches les plus complexes des mathématiques et de la logique (ce qui est préférable quand on prend l’avion, par exemple, personne n’a envie d’un bug dans le système embarqué à 10 000 mètres au-dessus de l’océan…). Mais ce n’est pas tout : presque toutes les sciences expérimentales progressent désormais à l’aide de modèles numériques permettant une compréhension du réel inaccessible autrement. Ainsi, la prévision de la météo et du climat, l’analyse des effets d’une molécule sur nos tissus, la cartographie des gènes et des peptides, l’analyse des éléments du cosmos ou la physique des matériaux s’écrivent désormais en langage numérique. Du point de vue épistémologique comme du point de vue pratique, nous n’en sommes qu’au début de cette numérisation du monde. Les transformations attendues dépasseront sans doute celles de l’imprimé : c’est plutôt à l’invention de l’écriture qu’il faut songer pour trouver un précédent technoculturel comparable.
Référence :
Berry G. (2008), Pourquoi et comment le monde devient numérique, Paris, Collège de France Fayard.
Illustration : ASCII History of Moving Images, Vuk Cosic
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