12.3.08

En défense de Sooreh Hera (et en prophylaxie contre le virus monothéiste)

Cette photo de l'artiste néerlandaise d'origine iranienne Sooreh Hera représente deux homosexuels iraniens, affublés des masques de Mahomet et de son fils Ali. La série fait scandale aux Pays-Bas, en raison des protestations bruyantes de l'aile intégriste de la minorité musulmane. Le musée de La Haye a refusé d'exposer les oeuvres de Hera, qui devraient être bientôt visibles à Paris, au Centre Pompidou.

L'affaire a déjà quelques mois, mais ce blog n'existait pas. Et elle devrait rebondir avec le passage de l'artiste à Paris. Si je publie cette photo ici, ce n'est pas que j'en apprécie particulièrement la qualité, même si j'en partage le message (l'homosexualité est passible de la peine de mort en Iran, comme dans 9 autres pays). C'est pour les faire connaître, pour vous enjoindre à en parler à votre tour. Et c'est aussi l'effet d'un profond agacement : qu'un musée des Pays-Bas, terre connue pour sa tolérance et qui abrita jadis nombre de penseurs fuyant les persécutions des monarchies absolues, en soit réduit à décommander un artiste sous prétexte que sa création choque des croyances religieuses m'est insupportable.

Nous avons mis plusieurs siècles à nous débarrasser de la chape de plomb du christianisme d'Etat, à proclamer les droits fondamentaux des individus, à libérer les esprits de la pesanteur des dogmes religieux. Remettre en cause ces acquis pour ne pas contrarier une poignée de fanatiques barbus est une faiblesse méprisable. Et il en va de même lorsque des intégristes juifs ou chrétiens prétendent limiter les libertés de l'esprit.

Certains (souvent croyants eux-mêmes) essaient de nous faire avaliser la censure ou de nous inciter à la modération (l'autocensure en clair) sous prétexte qu'il ne faut pas "blesser les gens dans leurs croyances". C'est une aberration. Ne pas nuire à autrui est un principe tout à fait honorable, mais il exige que la nuisance sont matériellement caractérisée. Faute de quoi n'importe qui peut s'estimer "choqué", "blessé", "heurté" par n'importe quoi. Il suffirait de faire enregistrer cette "nuisance psychologique" pour interdire ce que l'on veut. Quant au meilleur moyen de pas être "blessé" par une exposition de Sooreh Hera, c'est de ne pas s'y rendre.

A titre personnel, je suis "blessé" chaque jour dans mes convictions athées par la simple existence de la Bible et le Coran, deux textes que je tiens pour les plus néfastes jamais écrits de main d'homme et pour responsables d'innombrables crimes contre l'humanité. Ce n'est pas pour autant que je réclame leur interdiction, ni bien sûr celle du judaïsme, du christianisme ni de l'islam. Je réclame en revanche le droit de lutter ouvertement contre des idées et des croyances que j'estime intrinsèquement nuisibles. Et je reconnais symétriquement le droit aux religieux de lutter contre les idées de la science et la libre-pensée s'ils le désirent.

Que l'on essaie ainsi de convaincre les autres du bien-fondé de ses opinions, c'est la règle du grand jeu d'attraction et répulsion rythmant l'histoire des représentations humaines. Encore faut-il respecter les règles de ce jeu telles qu'elles sont désormais posées, ce que les cerveaux infectés par le virus monothéiste ont du mal à comprendre. Concrètement, chacun fait ce qu'il veut dans la sphère privée, y compris au sein d'une communauté ; mais en raison de cette pluralité des opinions privées propre à toutes les démocraties modernes, la sphère publique ne peut exister que sur la base d'une défense sans faille des conditions d'existence de la pluralité, c'est-à-dire de la liberté d'expression et d'opinion des individus. Ceux qui ne l'acceptent pas sont libres de s'exiler dans une terre non-démocratique où leurs croyances sont obligatoires pour tous.

J'espère donc que nous serons nombreux à accueillir les oeuvres de Sooreh Hera à Paris.

PS : accessoirement, Sooreh Hera s'était exilée en Europe pour fuir les persécutions de son pays d'origine. On imagine son dépit de les retrouver ici. L'Europe est souvent incapable d'offrir des conditions matérielles aussi intéressantes que celles des Etats-Unis pour les chercheurs ou les artistes qui souhaitent y vivre et y travailler. Si de surcroît elle n'est plus capable d'assurer la liberté de l'esprit indispensable à toute création, elle ne devra pas s'étonner de sa place déclinante dans l'intelligence du monde présent et à venir.

Illustration : photographie de Sooreh Hera.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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Le fascisme et sa variante communiste était une affaire d'État au XXe siècle. Il est maintenant devenu aussi une affaire individuelle avec le fanatisme religieux. Nous ne savons pas bien nous défendre contre le kamikaze, qui est le vrai problème dans cette affaire.

Ceux qui se défendent encore le mieux contre le kamikaze sont les Nord-Américains, qui n'hésitent pas à tricher un peu par rapport aux sacro-saints droits de l'homme et à faire preuve d'une bonne petite dose d'intolérance envers tout ce qui peut ressembler par le vêtement ou le poil audit kamikaze, qui donc hésite avant de se présenter à la frontière pour pénétrer sur le territoire ainsi défendu.
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Ce sont les horreurs de la guerre ...
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