25.3.08

Naissance d’une enzyme

On dit que la nature fait bien les choses, mais l’adage populaire se trompe. Le vivant fait comme il peut, par une quantité quasi-infinie de petits tests locaux répétés dans le temps, conservant ce qui fonctionne, oubliant le reste. Les solutions trouvées par cet empirisme aveugle ne sont pas toujours les plus simples ni les plus efficaces, ce sont simplement celles que le processus de mutation-sélection a permis de faire émerger sur une base aléatoire. De là provient par exemple l’encombrement des génomes d’une quantité d’ADN ne servant plus à grand-chose.

Une équipe internationale de chercheurs vient de démontrer que l’on peut faire mieux que la nature, tout en s’inspirant de ses principes. Leur objectif ? La création d’une enzyme. Pour mémoire, les enzymes sont des catalyseurs, c’est-à-dire des molécules qui permettent d’accélérer une réaction chimique. Indispensables au vivant, elles sont sollicitées en permanence dans nos cellules. Les enzymes sont en général des protéines (chaînes plus ou moins longues d’acides aminés, repliées en trois dimensions), parfois de l’ARN (un cousin de l’ADN). En l’occurrence, les biologistes se sont intéressés à la réaction de Kemp par laquelle un atome de carbone perd un proton.

La première phase de l’expérience a consisté à concevoir par informatique une séquence de quelques centaines d’acides aminés pour y parvenir. Parmi un nombre quasiment infini de possibilités, la démarche a permis de sélectionner 60 combinaisons capables de produire la réaction chimique souhaitée. Huit ont été retenues comme aptes à développer une activité biologique. Et trois se sont montrées plus efficaces que les autres. La seconde phase a visé à imiter l’évolution dans un tube à essai. Une autre équipe a donc conçu in vitro les enzymes proposées par ordinateur, mais leur a fait subir toute une série de mutations aléatoires en vue d’observer l’effet sur la catalyse souhaitée. Lorsqu’une enzyme mutante se révélait meilleure, elle servait de base à une nouvelle série de tests. Après sept séries de mutations dirigées in vitro, les biologistes sont parvenues à des enzymes 200 fois plus efficaces que le modèle initial issu de l’informatique. Et un million de fois plus rapides qu’en milieu naturel (c’est-à-dire en l’absence d’enzyme spécifique pour la réaction chimique recherchée). Cette recherche s’inscrit dans le cadre émergent de la biologie synthétique et de la bio-ingénierie : non pas choisir les moins mauvaises solutions dans ce que le vivant nous a légué, mais créer à partir du vivant des solutions mieux adaptées à nos fins.

Référence :
Röthlisberger D. et al. (2008), Kemp elimination catalysts by computational enzyme design, Nature, online pub., doi:10.1038/nature06879

Illustration : ibid.

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