31.3.08

Faits et valeurs

Depuis Hume, on a coutume d’opposer fermement le descriptif et le prescriptif, le jugement de fait et le jugement de valeur : ce qui est ne nous dirait rien ou n’aurait aucune influence sur ce qui doit être. Cela me semble discutable.

D’une part, ce qui est (la réalité) contraint d’une certaine manière ce qui doit être (la volonté, le désir, l’espoir, etc.). Si j’utilise ma totale liberté prescriptive pour énoncer que les hommes devraient épouser des vaches et les femmes des cactus, j’ai une probabilité très faible que mon idéal se réalise (et une probabilité assez forte de finir dans un asile si je persiste). Il y a donc quelque chose dans les propriétés de l’homme et de la femme (ainsi que de la vache et du cactus) qui limite ma liberté d’énonciation à leur sujet, à tout le moins si je veux être crédible ou audible, c’est-à-dire partager mon énoncé (ce qui est généralement le cas pour une prescription).

D’autre part, un jugement de valeur peut aussi être analysé comme un fait, c’est-à-dire que l’on peut porter des jugements de fait sur des valeurs. Par exemple, si je dis « ce tableau est affreux », un cartel de chercheurs peut très bien disséquer mon cas, analyser la fréquence de jugements de goût semblables dans ma population, mon sexe, ma classe sociale, ma religion, mon niveau d’instruction, observer mon cerveau observant le tableau, reconstruire toutes les influences de mon milieu depuis l’enfance, évaluer par questionnaire mon degré de connaissance artistique, etc. pour à la fin aboutir à une certaine objectivation du jugement « affreux », à certaines prédictions sur d’autres tableaux que je trouverai « affreux » ou d’autres personnes qui, comme moi, trouveront ces tableaux affreux. Il existe d’ailleurs aujourd’hui une neurobiologie des jugements moraux ou esthétiques, ou encore une génétique des opinions politiques et religieuses.

2 commentaires:

PS a dit…

Jean Bricmont a dit : si nos valeurs dépendent des faits, les faits se passent très bien de nos valeurs.

C. a dit…

Ce qui est bien dit ma foi. Encore que les valeurs soient créatrices de faits (ou que des valeurs différentes se traduisent par des réalités différentes, si l'on préfère).