Longtemps, une jolie légende a circulé dans les manuels d’enseignement ou les discours de vulgarisation : l’espèce humaine telle que nous la connaissons (Homo sapiens) n’a presque pas évolué depuis sa naissance africaine voici 200 000 ans, elle présente une très faible diversité génétique interne, la naissance de la culture a ralenti, voire annulé les effets de la nature, c’est-à-dire l’évolution par sélection naturelle et sexuelle.
Mais les progrès de la génomique sont en train de dynamiter ce discours rassurant de l’unité et de la fixité humaines. Jusqu’à récemment, on ne pouvait examiner que certains gènes-candidats sur des nombres restreints d’individus. La bio-informatique permet désormais la lecture rapide de millions de paires de bases formant nos gènes, et cela chez des centaines d’individus. On peut comparer ces génomes entre eux, ou bien encore les comparer à ceux des autres espèces de primates. Dans cet exercice, on recherche les traces d’une sélection positive, c’est-à-dire d’une évolution des gènes n’étant pas due au seul hasard (la dérive génétique), mais à la pression du milieu (la sélection des mutations favorables et l’adaptation des individus). Il existe pour cela différentes méthodes statistiques, selon l’époque où les mutations génétique sont survenues (voir Sabeti 2006 pour une présentation globale).
Deux travaux viennent de montrer qu’un grand nombre de gènes ont connu une sélection positive récente chez Homo sapiens.
Des chercheurs de l’unité de génétique évolutive humaine (CNRS), dirigée par Lluis Quintana-Murci à l’Institut Pasteur, ont analysé chez 210 individus représentatifs des différentes populations plus de 2,8 millions de marqueurs polymorphes du génome humain. Résultat : au moins 582 gènes ont subi une forte pression sélective dans la période 60 000 – 10 000 ans BP (before present). C’est à cette époque que les populations humaines se sont réparties sur la planète et différenciées en ethnies. La fonction de tous ces gènes n’est pas encore connue. On sait que certains sont impliqués dans des différences physiques (pigmentation de la peau, épaisseur des cheveux), que d’autres interviennent dans les relations hôte-pathogènes ou sont associés à des maladies pour lesquelles le taux de prévalence peut varier entre les populations, comme le diabète, l’obésité ou l’hypertension.
Un travail similaire est paru un mois plus tôt, cette fois dirigé par Harry Harpending, paléo-anthropologue à l’Université de l’Utah (Salt Lake City, Etats-Unis). 270 individus étaient cette fois concernés, choisis pour la diversité de leurs ancêtres européens, asiatiques ou africains. 3,9 millions de polymorphismes simples (SNIPs) ont été analysés. Dans ce travail, les biologistes ont identifié 1800 gènes ayant connu une évolution ces 100 000 dernières années, ce qui représente 7% du génome humain environ. Mieux encore, il semble que le rythme des sélection positives s’est accéléré au cours des 40 000 dernières années, et plus particulièrement au cours des dix derniers millénaires, c’est-à-dire lors de la sortie du dernier âge glaciaire et la sédentarisation de la majeure partie des populations humaines (graphique : pic des variations alléliques dans les populations d’origine européenne et africaine).
De nombreuses autres études sont en cours, notamment autour du projet HapMap visant à cartographier avec précision la diversité génétique de l’espèce humaine. On n’a donc pas fini d’entendre parler de ces allèles plus ou moins fréquents selon les populations, c'est-à-dire de ces infimes variations ayant abouti à l'extraordinaire diversité de l'espèce humaine en l'espace de 10 000 générations. Et à terme, le processus d’analyse s’affinera encore, c’est-à-dire que les banques de bio-informatique pourront extraire les variations les plus rares, présentes dans certains génotypes familiaux et individuels seulement.
Références :
Barreiro L.B. et al. (2008), Natural selection has driven population differentiation in modern humans, Nat Genet, 40, 3, 340-345.
Hawks J. et al. (2007), Recent acceleration of human adaptive evolution, PNAS, 104, 52, 20753-20758
Sabeti P.C. et al. (2006), Positive natural selection in the human lineage, Science, 312, 5780, 1614 – 1620.
Illustration : extraite de Hawks 2007.
3.3.08
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