Mai 68 fut la cristallisation française d’un mouvement plus général qui courait des Etats-Unis au Japon en passant par la Tchécoslovaquie, et qui avait pour acteur une génération née dans l’après-guerre. Les deux composantes du mouvement – ouvriériste et politique, hédoniste et sociétale – ont connu un destin contraire, l’une n’ayant cessé de décliner au point de devenir inaudible, l’autre de progresser au point de paraître évidente. Et cela pour une même raison, en apparence paradoxale : c’est le capitalisme qui a finalement digéré et démocratisé l’esprit de Mai, qui s’est imposé comme le vecteur de l’autonomie et des libertés privées, qui a discrédité l’Etat comme instance de répression des désirs et des volontés, qui est passé d’un régime de masse homogénéisateur à un régime de niches différenciées, qui s’est transmué en avant-garde des droits de l’homme sous la forme de la démocratie de marché, qui a valorisé le travail cognitif contre le travail physique. Pourtant, l’émancipation des individus et des communautés est bien loin d’avoir achevé toutes ses potentialités, non seulement parce que l’Etat résiste à son discrédit en brandissant son rôle ultime de rempart contre l’insécurité, mais aussi parce que le capitalisme sécrète ses propres conservatismes. Malgré cela, le processus d’autonomisation continue lentement et chaque nouvelle génération s’éloigne un peu plus de l’ancienne. La vieille taupe creusait ses galeries dans les sous-sols du vieux monde : elle les expose désormais sur le réseau mondial - l’innovation la plus importante des quatre décennies écoulées - où se dessinent aujourd’hui les contours d’une ère future.
Illustration : C. Muller.
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