Chris Anderson, rédacteur en chef très écouté du magazine très lu Wired, a rédigé sur son blog une longue note abondamment commentée, appelée à devenir un livre en 2009. Elle est intitulée Free ! et repose sur une idée simple : l’avenir de l’économie numérique est à la gratuité et cette gratuité va peu à peu s’étendre à tout dans le domaine du numérisable. Contrairement à l’économie classique faite de matières premières et d’énergie rares, les coûts de fabrication et de transport du numérique tendent très rapidement vers zéro. D’un clic, on fabrique une nouvelle copie d’une chanson, d’un film, d’un livre ou d’une photo. D’un autre clic, on l’envoie à des dizaines, des centaines ou des milliers de personnes.
Plutôt que de vouloir s’arc-bouter à sécuriser leurs produits et à réprimer les amoureux du partage, donc à contrôler finalement toute la société dans un grand délire panoptique, les industries du divertissement, de la culture et de l’information devraient prendre acte de cette gratuité et construire leur développement autour d’elle. Car, comme le détaille Anderson, la gratuité « totale » n’est qu’un modèle parmi d’autres. Elle peut être aussi organisée de telle sorte qu’elle ne fait pas disparaître la profitabilité. Le modèle classique est la publicité, celle qui vous permet de lire ce blog car son interface ne me coûte rien. Mais il y a d’autres modèles : le contenu gratuit limité, avec accès payant pour des données plus rares ; le produit d’appel gratuit pour diriger vers d’autres biens et services restés payants ; le produit dérivé non numérique payant à partir d’un produit numérique libre ; le produit payant un premier temps (pout ceux qui ne veulent pas attendre), gratuit un peu plus tard ; le bénéfice relationnel indirect de celui qui donne (gains en attention, en réputation, en notoriété), etc.
Cette évolution, si elle a lieu, sera intéressante à plus d’un titre. Elle rapproche du « post-capitalisme » que décrivent Alexander Bard et Jan Söderqvist dans leur essai Les Netocrates, c’est-à-dire d’une économie où la gratuité est primaire et le profit secondaire, où, comme dans les sociétés les plus anciennes, on établit son pouvoir par sa capacité à donner et à dépenser au lieu d’accumuler et soustraire. Elle crée aussi les conditions d’une circulation accélérée des idées et des modes, avec une réplication « virale » de ce qui séduit, une contagion rapide des vues nouvelles ou des informations pertinentes. Elle alimente en contenu la base neurocognitive de ce que nous appelons ici la Mutation, c’est-à-dire la fusion de l’être et du devenir, la transformation permanente des identités et des réalités, la vision de la vie comme un jeu dont on change les règles à mesure qu’avance la partie.
Illustration : C. Muller
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