14.3.08

Obligation de mourir dans l’indignité

L’euthanasie revient sur le devant de la scène (hexagonale) avec le cas de Chantal Sébire. Cette femme de 52 ans est atteinte d'un esthésioneuroblastome, tumeur évolutive incurable des sinus et de la cavité nasale, se traduisant par une déformation des traits du visage et des souffrances extrêmes. La demande de Chantal Sébire est simple : mettre fin à sa déchéance et sa souffrance, organiser sa mort auprès de ses proches, avec administration d’une substance létale par un médecin.

Comme toujours, cette requête soulève moult discussions et débats ayant pour effet de la compliquer inutilement. L’enjeu est pourtant clair comme de l’eau de roche : le droit pour chacun de mourir comme il le souhaite, y compris par intervention d’un tiers. Si l’on se réfère à la règle d’action minimale « ne pas nuire à autrui », il apparaît que l’euthanasie ne nuit à personne, puisqu’elle est un rapport de soi à soi ; mais que son interdiction nuit en revanche à tous ceux qui, craignant de se suicider seul ou étant dans l'incapacité de le faire, sont contraints d’éprouver des souffrances physiques ou psychologiques contre leur gré.

Le droit de mourir selon son choix est refusé par les religions (au moins le christianisme et l’islam) considérant la vie comme un don de dieu dont l’homme ne peut disposer. Il l’est aussi par certaines morales qui se disent « laïques » mais qui usent volontiers de concepts métaphysiques — comme par exemple une soi-disant « dignité humaine » consistant en l’occurrence à continuer une vie que l’individu lui-même, en pleine possession de ses moyens, considère comme indigne d’être vécue. (La palme revient à Christine Boutin, ayant déclaré à l’AFP : « Il faut dire à cette femme qui a le visage abîmé qu'elle peut être aimée et que sa dignité dépasse cela ». Voilà illustrés en quelques mots 2000 ans de morale catholique : secondarisation du corps et de sa souffrance, prétention à décréter ce qui est « digne » en lieu et place de chacun, instrumentalisation de l’amour d’autrui comme prétexte suffisant pour asservir autrui à ses propres vues, etc.)

Si l’on écarte les croyances religieuses, quels sont les arguments rationnels pour interdire l’euthanasie ? Les justifications avancées en dehors du caractère sacré de la vie concernent non le principe lui-même, mais les « dérives » et de « dérapages » possibles de sa dépénalisation : pression de tiers, manque de discernement du sujet, difficulté éventuelle à revenir sur son choix au cours de l’évolution de la maladie, etc. C’est évidemment secondaire, car toutes les libertés comportent des risques dans leur exercice et le rôle de la loi est justement de s’en prémunir, s’il est avéré que le risque a une probabilité non négligeable de se réaliser. On n’interdit pas de conduire sous prétexte que chaque conducteur peut renverser un piéton ; mais on fait un code de la route minimisant le risque de renverser des piétons, bien réel en l’occurrence. Autoriser l’euthanasie ne consisterait pas à signer un blanc-seing aux médecins et aux familles, mais à fixer les conditions dans lesquelles une demande d’euthanasie est recevable (consentement éclairé du sujet et absence de pressions externes, toutes choses qui se vérifient assez aisément). Qui plus est, d’innombrables témoignages montrent que l’euthanasie est pratiquée de fait par des médecins et des infirmières, notamment en services de réanimation. On a donc une pratique « sauvage » présentant déjà tout le potentiel de dérives et dérapages que l’on dit craindre par une légalisation (ou dépénalisation).

Pour l’euthanasie comme pour la plupart des sujets relatifs à l’usage du corps, l’Etat privilégie finalement une certaine position morale au détriment d’une autre, au lieu des laisser les individus libres de réaliser leur vision personnelle du bien.

À consulter :
Association pour le droit de mourir dans la dignité

Illustration : Pam and Kim (1995), série Dystopia, Aziz + Crucher.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

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Nous nous prononçons non seulement en faveur de la mort volontaire, mais aussi pour l'abolition de la tristesse accompagnant habituellement un tel événement.

Nous exigeons de pouvoir mourir sans souffrance aussi lorsque tout va bien et que rien sauf nous-même nous oblige à passer outre.

Un jour, chaque trépas volontaire se produira lors d'une fête entre amis mêlant rires et bonne humeur exprimant la satisfaction d'avoir tué le malheur et la mort !

Un jour, nous partirons tous sur un bon souvenir !

Mais nous avons beaucoup trop d'avance pour imaginer le moins du monde que nous serons compris de sitôt par la multitude des corbeaux de la tristesse infinie.

Patience, donc ...

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Anonyme a dit…

Alors qu'à la génération précédente les Etats n'hésitaient pas à envoyer ses enfants se faire tuer sur les champs de bataille, elles refusent maintenant à ses citoyens le choix de leur propre mort.
Ah ironie du sort et de l'histoire.