18.7.08

Violence, monothéisme et anthropologie (sur un discours de Benoît XVI)

A l’occasion des 23e journées mondiales de la jeunesse, Benoît XVI s’adresse aux fidèles depuis l’Australie. Quelques commentaires de deux extraits de son discours à l’occasion de la rencontre interreligieuse du 18 juillet 2008.

« L’Australie est renommée pour l’affabilité de ses habitants envers leurs prochains et envers les touristes. C’est une nation qui tient en grande considération la liberté de religion. Votre pays reconnaît que le respect de ce droit fondamental permet aux hommes et aux femmes d’adorer Dieu selon leur conscience, d’éduquer leur esprit et d’agir selon les convictions éthiques qui dérivent de leur croyance. »

En fait, les Australiens sont aussi réputés pour avoir réduit la population des natifs aborigènes par la maladie, la déportation et l’assimilation forcée. Car les colons européens étaient de bons chrétiens de leur temps, et ils ne pouvaient évidemment concevoir qu’un homme soit véritablement un homme sans « adorer Dieu selon leur conscience… chrétienne ». Mais bien sûr, on ne demandera pas aux catholiques de battre leur coulpe pour tout le monde. Pour un esprit athée et rationnel comme le mien, l’enjeu est clair : assumer l’héritage chrétien, c’est assumer une foi monothéiste ayant fait son devoir bimillénaire de convertir de gré ou de force les individus aux dogmes de sa vérité révélée. À peine sortirent-ils de l’état de minorité pour se saisir du pouvoir que les chrétiens mirent toute leur ardeur à briser les héritages, à domestiquer les corps et contraindre les esprits. Que le pape se félicite aujourd'hui du « droit fondamental » qu’est la liberté de croire ne fait oublier à personne que ce droit est né récemment, qu’il fut notamment alimenté par le rejet de l’intolérance chrétienne à l’âge des Lumières, que ce droit est encore bafoué par nombre de pouvoirs religieux, que le monothéisme est par sa métaphysique même (dieu unique, vérité révélée, interdit fondamental au croyant d’adorer un autre dieu et vénérer des idoles, etc.) la moins tolérante des religions à cet égard.


« La relation harmonieuse entre les religions et la vie publique est d’autant plus importante à une époque où certains en sont venus à considérer la religion comme une cause de division plutôt que comme une force d’unité. Dans un monde menacé par des formes inquiétantes et indiscriminées de violence, l’unité de pensée de tous ceux qui ont une croyance religieuse stimule les nations et les communautés à résoudre les conflits au moyen d’instruments pacifiques, en respectant pleinement la dignité humaine. Une des multiples manières dont la religion se met au service de l’humanité est celle d’offrir une vision de la personne humaine qui souligne notre aspiration innée à vivre avec magnanimité, en tissant des liens d’amitié avec nos prochains. Au sens le plus profond, les relations humaines ne peuvent être définies en termes de pouvoir, de domination et d’intérêt personnel. Au contraire, elles reflètent et perfectionnent l’inclination naturelle de l’homme à vivre en communion et en harmonie avec les autres. »

Le fait est que ce monde est plein de violences, et qu’il y a même des nœuds géographiques de violence répétitive. Par exemple le Moyen Orient où se retrouvent, par le plus grand des hasards, les trois monothéismes en conflit pour quelques tas de pierre symboliques (et leurs sous-sols pétrolifères, bien sûr). Il serait infantile de croire que la violence humaine se résume à la violence religieuse, et que la violence religieuse se réduit à la violence monothéiste. Mais le fait est que partout où des monothéistes ont le pouvoir, ils continuent d’utiliser la force. L’islam est pointé du doigt pour ses régimes barbares et son intolérance bas-du-front. Mais ce serait oublier le comportement de la première puissance militaire du monde : l’administration Bush dont les délires sur l’axe du Mal et les agressions impérialistes ne trouvent leur sens ultime que dans les croyances métaphysiques de leurs acteurs néo-conservateurs.

Au-delà, il est intéressant de noter que le pape continue de véhiculer des dénis anthropologiques de base. Au sens profond, comme il dit, les relations humaines ont toujours été des luttes de pouvoir, de domination et d’intérêt. Il n’existe aucune inclinaison naturelle à vivre en communion avec les autres en toute généralité, c’est même tout l’inverse : les hommes sont naturellement enclins à se diviser en groupes, à sacrifier des individus pour leur groupe, à se quereller pour des ressources, des partenaires, des réputations, des symboles. Les humains n’aiment pas les autres humains de manière abstraite et universelle : ils en aiment certains et en détestent d’autres, leurs philies comme leurs phobies sont inscrites dans la programmation biologique de leur espèce de singe conscient et violent, ils valorisent et dévalorisent d’un même mouvement. Même une soi-disant religion d’amour universel comme le christianisme l’a démontré pendant ses 2000 ans d’histoire : elle n’a fait que s’adapter à ce penchant humain universel, elle a donné lieu et servi de motif à des guerres internes (lorsque le christianisme s’est divisé en courants antagonistes) ou externes (contre les païens et les infidèles).

Le danger monothéiste (aujourd’hui moins catholique que juif ou musulman ou protestant), c’est justement de surimposer les critères absolus et universels de sa foi à cette tendance naturelle au conflit. Si la division du monde entre croyants et incroyants est la plus fondamentale, si le devoir du croyant est de lutter contre l’incroyance pour étendre la « vraie foi » sur Terre, la violence matérielle des hommes se double d’une violence métaphysique sans fin, sans autre fin possible que la conversion de tous les autres au discours unique de la vérité. Tant que le monothéisme ne reniera pas ses dogmes les plus fondamentaux, il restera ce virus mental qui transforme la tendance à croire en tendance à convertir, et la tendance à convertir en justification métaphysique d’une violence ubiquitaire.

La violence est faible au niveau individuel, immense au niveau collectif : les crimes les plus abominables, les plus nombreux ont toujours été commis dans des logiques de groupes, que celles-ci soient alimentées par les religions, les morales ou les idéologies, que celles-ci aient pour instrument les États ou les églises. Tel est l’enseignement de la rationalité critique appliquée à l’évolution et à l’histoire de notre espèce. Jamais on ne canalisera la violence humaine dans un sens créateur en déniant sa réalité et en ignorant ses mécanismes.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Message des hommes vrais au monde mutant de Marlo Morgan. Livre presque trop lu, trop célèbre. Une journaliste égarée par hasard dans le désert australien partage la vie des arborigènes.

Si c'est vrai tout ce qu'elle raconte (sa jambe cassée ressoudée en quelques jours par exemple), ce qui est désolant, c'est le savoir que l'on a perdu. C'est surtout cela qui est dommage. Le savoir des amérindiens, de la médecine des plantes en Amazonie, des tibétains, des arborigènes. Toute cette connaissance perdue.

Anonyme a dit…

J'ai oublié de mentionner que ce livre n'est pas apprécié par les arborigènes qui ne veulent pas être récupérés par le new age non plus, etc. Mais ce genre de livres aide à respecter leur culture, leur savoir, en cela, c'est un livre qui est intéressant.

Mme Morgan est docteur en biochimie, je ne comprends pas très bien sa motivation de mentir sur son expérience avec les arborigènes, et je n'ai pas réussi à démêler le vrai du faux. Il faudrait la rencontrer, lui parler.

Anonyme a dit…

http://www.harpercollins.com/author/authorExtra.aspx?authorID=6895&isbn13=9780060723514&displayType=bookinterview


Entretien récent en anglais avec Marlo Morgan.