24.7.08

Mères porteuses : la secte psychanalytique s'invite au bal

Nous avions déjà signalé ici les premières manœuvres de la secte catholique pour s’opposer aux mères porteuses (gestation pour autrui, GPA). Voici dans Libération le premier tir de barrage de la secte psychanalytique, sous les plumes de Myriam Szejer (fondatrice de l’association La cause des bébés) et Jean-Pierre Winter (président du Mouvement du coût freudien). Cette alliance entre religion et psychanalyse, que d’aucuns jugeraient contre-nature, est devenue au fil des ans un tropisme français pour les questions éthiques relatives à l’homosexualité, la conception ou l’adoption. Décryptage.

"Le débat sur la gestation pour autrui, intensifié après le rapport du Sénat, serait-il politique au point de faire de ses adversaires des réactionnaires et de ses partisans des progressistes, comme si toute assistance médicale à la procréation était a priori un progrès social ? Comme si, a priori, avant même d’en avoir mesuré les enjeux, tout nouveau mode d’assistance médicale à la procréation était un progrès social."

Personne ne parle de progrès social : des couples et un tiers (la mère porteuse) choisissent un mode de conception. Placer cette question sous l’angle de l’opposition réactionnaire / progressiste est un moyen de noyer l’enjeu réel : la liberté procréative des individus. Que certains jugent cette liberté comme un progrès, d’autres comme une régression est indifférent.

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"Ce n’est pas parce que quelques-uns, étiquetés - à tort ou à raison - de droite, défendent une position, que celle-ci ne relève que de leur morale ou de leurs choix politiques. Que toutes les religions, par exemple, interdisent de tuer n’autorise pas les non-religieux à légitimer le meurtre. Il se trouve simplement, et il en va ainsi de l’interdit de l’inceste, que les fondements scientifiques et philosophiques qui aboutissent à ces interdits ne sont pas nécessairement contradictoires avec certains énoncés moraux ou religieux."

Ainsi, il n’aura fallu qu’une dizaine de lignes pour voir apparaître l’objectif : l’interdit. Comme l’observait Freud, « le progrès social et technique de l'humanité a été moins préjudiciable au tabou qu'au totem » (in préface à Totem et tabou).

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"Certes, l’infertilité est un drame et, selon les défenseurs de la gestation pour autrui (GPA), l’amour suffirait pour éviter à l’enfant tout problème lié à son mode de conception. Outre qu’habituellement ce sont les religions qui privilégient la compassion et l’amour, recourir à des arguties rhétoriques pour balayer des faits psychiques aujourd’hui avérés s’apparente à une dénégation. Enoncer que tout acte réel dans le corps (en particulier chez le bébé) s’inscrit durablement et symboliquement n’est pas du naturalisme. Le reproche fait à la médecine moderne de séparer le corps de l’esprit ne s’applique-t-il pas au militantisme pour les gestations pour autrui ?"

Enoncer que « tout acte réel dans le corps s’inscrit durablement et symboliquement » n’est en effet pas du naturalisme : comme tel, sans autre précision, c’est du charlatanisme ou de la pensée magique. Ce genre de proposition n’a aucun sens : derrière le « symbolique », on place absolument ce que l’on veut, un certain code d’interprétation des inscriptions matérielles du corps. La secte psychanalytique développe sa propre interprétation : fort bien pour elle, mais qu’elle cesse de nous casser les couilles avec sa foi naïve dans la vérité et l’universalité de celle-ci.

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"On oublie que la prescription de fécondation in vitro nécessaire à cette GPA cautionnée par la science équivaut à une «ordonnance d’abandon». Or l’importance de l’épigénétique (1) sur le développement physique et psychique du fœtus est connue, de même que celle du lien affectif entre la femme enceinte et l’enfant qu’elle porte et les effets délétères de la séparation mère-bébé à la naissance (a fortiori lorsqu’elle est définitive)."

Voilà donc nos deux magiciens qui tentent d’asseoir l’interdit sur une base rationnelle. L’importance de l’épigénétique est connue, nous disent-ils. Certes. Plein de choses sont ainsi connues, cela ne suffit pas à définir nos règles de conduite : encore faut-il préciser quelle est au juste l’importance de l’épigénétique, en quoi elle affecte le rapport enfant / mère porteuse / mère adoptive, en quoi cela justifie l'intervention de l'Etat. L’épigénétique ici mentionnée de manière allusive, c’est simplement la manière dont l’environnement utérin va conduire à l’expression variable de certains gènes (empreinte maternelle). En quoi ce processus biochimique impose-t-il quoique ce soit au destin futur de l’enfant, et surtout à son malheur / bonheur d'être adopté ? Mystère. Quant aux « effets délétères » de la séparation mère-bébé à la naissance, on aimerait que ceux ci soient mesurés et expliqués, au lieu d’être assénés comme une vulgaire assertion de psychologie populaire. En fait, le propos revient à dire que tout enfant abandonné ou adopté souffrira dans son existence de déséquilibres psychiques. Malheureusement, aucune étude empirique de ma connaissance ne vient conforter ce préjugé. Même des méta-analyses sur des enfants adoptés par des couples homosexuels (la double « horreur symbolique » pour la psychanalyse) ne concluent pas que les enfants présentent une plus grande vulnérabilité (par exemple Vecho et Schneider 2005).

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"Pour ne pas couper ce lien, les médecins posent le nouveau-né sur le sein de sa mère après l’accouchement, afin de lui restituer ses repères anténatals mémorisés et inscrits pour lui comme identitaires. Ils ont inventé les unités kangourous, le «peau à peau» et l’hospitalisation mère-bébé, car c’est dans le post-partum précoce que se construisent les fondements du narcissisme de l’humain. Pédiatres et accoucheurs ont vu combien ces pratiques amélioraient le pronostic des survies, la longueur des hospitalisations, le succès des allaitements. Comment pourraient-ils parallèlement prescrire l’abandon ? Ce ne sont pas des gamètes que le nouveau-né reconnaît comme mère, mais celle qui l’a porté. On sait que la blessure de l’abandon, incicatrisable tant chez l’abandonné que chez l’abandonnante, fonctionne comme une amputation bilatérale du Moi. Les adoptions les plus réussies ne parviennent pas à en effacer la trace consciente et inconsciente, car cela reviendrait pour le psychisme de l’enfant comme pour celui de la mère à renoncer à une partie de lui-même."

Bienvenu au pays des « jargonautes ». Il est tout de même amusant d’observer que la secte psychanalytique, connue pour son dégoût du déterminisme biologique, vend à ses ouailles un déterminisme symbolique autrement plus implacable : tout se joue à la naissance, le « narcissisme », les « blessures incicatrisables », les « amputations bilatérales », etc.

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"Il relève de notre responsabilité de ne pas autoriser une pratique dont l’enfant sera délibérément la victime."

Donc, on refuse la gestion pour autrui au nom de la responsabilité pour autrui. Autrui n’a rien demandé, bien sûr, mais cela n’empêche pas Szejer et Winter d’édicter ce qui est Bon et Bien pour lui. Misère du moralisme quand il essaie de se draper des oripeaux de l’objectivité…

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"Arrêtons de privilégier, sans les travailler de surcroît, les blessures liées à la stérilité et de penser les bébés abandonnés uniquement en termes de social, de charité religieuse ou humanitaire, ou de «droit à l’enfant». Avec ce que nous enseignent la science et la psychanalyse, on ne peut plus se contenter des bons sentiments pour réfléchir à l’abandon, l’adoption et l’assistance médicale à la procréation."

Mais bien sûr, allons plus loin, « avec ce que nous enseignent la science et la psychanalyse », on ne peut pas laisser tout le monde procréer, il faut d’abord que la Sainte Alliance des Néo-Bigots Eclairés donne son autorisation à un acte aussi important.

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"Le débat ne se situe pas entre progressistes et réactionnaires mais, comme traditionnellement en obstétrique, entre l’intérêt de la mère et celui de l’enfant, soit ici celui de divers adultes face à celui d’un bébé à naître."

Non, il faut le dire et le répéter, en essayant de rester calme (là, j’ai de plus en plus de mal) : le débat se situe entre la liberté adoptive et procréative de l’individu d’un côté, et l’éternelle caste des directeurs de corps et de conscience, qui prétendent définir à sa place son intérêt, ses choix, ses valeurs.

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"La procréation n’est pas uniquement une histoire mécanique de mère et d’enfant. Toute la famille se trouvera ainsi bousculée. La société également en raison de la transformation des lois de la filiation qui en découlera. Quand il avalise cette théorie qui sépare le corps de l’esprit, le corps social entier est responsable."

Et allons donc : voilà l’hideux, le grotesque, l’informe « corps social entier » qui est appelé à la barre par les adeptes de la pensée magique. On a trop peur de se réclamer de l’Etat ou de l’Eglise, l’introuvable Société est posée comme arbitre. Ou plutôt comme gardien de prison.

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"On nous reprochera de faire preuve d’un déterminisme abusif en insistant sur la psychopathologie induite par de telles conditions de naissance. Mais l’est-ce plus que d’affirmer péremptoirement que tout ira bien si l’on n’a pas menti à l’enfant à propos de l’aspect technique de ses origines. Comme si une loi pouvait obliger qui que soit à énoncer une vérité dont nous savons qu’elle est impossible à dire."

Oui, ça l’est beaucoup plus (péremptoire) : une pensée magique n’ayant aucun fondement scientifique (la psychanalyse) produit des affirmations gratuites sur la vie psychique des individus et prétend ériger sur ces sables mouvants un interdit général. C’est cela qui est grave, pas la manière dont une mère choisira (ou non) d’expliquer ses conditions de naissance à son enfant.

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"Il ne faut pas légaliser la programmation de drames à venir. Un écart entre ce que la loi autorise et ce qui est toléré dans ses marges est à respecter ; c’est cette possibilité qui différencie une dictature d’une démocratie."

Verbiage creux, aux grands mots les petits remèdes. La gestation pour autrui restera dans les marges car elle correspond à des situations bien précises, différentes les unes des autres, minoritaires dans les comportements humains (des couples stériles choisissant cette méthode parmi d’autres, des couples homosexuels, ou bien pourquoi pas des femmes désirant un enfant mais n’éprouvant que répulsion pour la grossesse et ses désagréments). Ceux qui nous ont expliqué l’impératif de l’interdit fondé sur la double nécessité de leur pensée magique personnelle et du corps social entier s’estiment sûrement bien placés pour donner des leçons sur la dictature. Après tout, on leur concèdera au moins cette connaissance intuitive et intime du penchant dictatorial.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bravo, il n'y a rien à redire sur votre commentaire éclairé de cet article que nous, parents d'enfants nés par GPA (gestation pour autrui) estimons insultants et proprement scandaleux : qui sont-ils pour oser faire la morale et s'ériger en maîtres à délivrer des autorisations de parenté ? Qu'ils s'attaquent plutôt aux parents des milliers d'enfants battus ou maltraités, (qui eux ont été faits sous la couette, donc la morale est sauve ?) plutôt qu'aux nôtres, qui vont très bien, merci ! Selon eux, la parenté c'est comme la roulette russe: ceux qui ont la chance d'être fertiles peuvent faire à peu près n'importe quoi de leurs enfants, parce que c'est la grâce de Dieu qui les a rendus fertiles, et les autres, pauvres malchanceux, doivent se contenter de ... rien ?

C. a dit…

Oui, voilà, la naissance "naturelle" en couple hétérosexuel fertile est parée de toutes les vertus car "normale", le reste serait une déviance destinée à faire souffrir les enfants ou à satisfaire le narcissime / l'égoïsme des parents. Un aveuglement sur la réalité doublé d'une incroyable suffisance dans la distribution des leçons.

Anonyme a dit…

Je suis frappé par la légèreté de ce message, et je réagis au cas où, bien que plusieurs mois après la bataille : vous reprochez à la "secte" psychanalytique - il y aurait beaucoup à dire sur cette assimilation de la psychanalyse à un mouvement de type sectaire - de mettre à mal ce que vous appelez la "libre procréation", et de n'avoir aucune autorité pour le faire, puisque elle n'est qu'une pensée "magique". Il est tout de même un peu facile de parler de verbiage creux et de jargon quand on ne prend même pas la peine de comprendre ce que signifie et implique ce jargon. Il se trouve que les psychanalystes en savent un bout sur les enfants, et qu'ils s'expriment, en citoyens, sur le fondement de leur expérience clinique.
Je me permets de coller ici une déclaration de Jean-Pierre Winter qui me semble situer le débat à sa véritable hauteur. Selon moi, c'est à cette argumentation-là qu'il faudrait être en mesure de répondre :
"Le droit à l’homoparentalité enfreint, pour moi, un principe intangible qui est tout simplement celui de la réalité. Cela revient à dire que l’impossible - jusqu’à nouvel ordre, il faut toujours un homme et une femme pour faire un enfant - est possible! Je suis bien placé pour savoir que la souffrance psychique d’un enfant est très souvent liée avec ce qui se passe dans le lit de ses parents. L’enfant dans un couple d’homosexuels saura toujours qu’il ne peut pas être né de la relation entre ces deux êtres-là. Qu’il doit chercher ailleurs son origine, sa généalogie. Or les couples homosexuels - on le voit à travers les moyens qu’ils utilisent pour la procréation (banque du sperme, mère porteuse ou géniteur de passage) - ont tendance à exclure celui qui a contribué génétiquement à la naissance de l’enfant qu’ils vont aimer et élever. Il est paradoxal qu’au moment où l’on veut faciliter la recherche parentale pour les enfants nés sous X ou pour les enfants adoptés, on organise un type de famille d’où le géniteur serait exclu. Plus grave encore: on enlève à l’enfant les moyens de nommer sa parentèle. Comment appellera-t-il le compagnon de son père, la compagne de sa mère, leurs frères, leurs sœurs? On nous rétorque que l’on inventera des mots. Mais ces mots de toute façon bafoueront la réalité généalogique. Parler de droit à l’enfant pour des couples homosexuels revient à nier l’importance de la filiation dans la construction psychique d’un enfant. Cela ne sera pas sans conséquence. On parle du droit des homosexuels. Moi, je défends le droit des enfants à avoir un père et une mère."
Le reste de l'entretien se trouve ici :
http://www.carmed.org/page-97-jpWinter.htm
Il est trop simple, et bien léger, de ne voir là qu'un réveil de l'ordre moral. Aucun psychanalyste, d'ailleurs, ne prétend priver les homosexuels du droit d'avoir des enfants ; en revanche, ils considèrent que cet enfant doit avoir un père et une mère, non pas simplement biologiquement, mais avant tout symboliquement : autrement dit, la mère ou le père ayant permis la procréation doit pouvoir être reconnu comme tel par l'enfant, tout simplement parce qu'on lui doit la vérité. Et ça n'est en rien une attaque contre les homosexuels - faut-il préciser qu'un certain nombre de psychanalystes le sont ? - ou les mères porteuses.