21.7.08

Gènes et phénotype étendu : variation sociale chez la fourmi

Originaire d’Amérique du Sud, la fourmi de feu (Solenopsis invicta) a progressivement envahi l’hémisphère Nord au cours du XXe siècle. Cet hyménoptère intéresse les biologistes en raison d’un polymorphisme de son organisation sociale : on trouve des colonies tantôt avec une seule reine (forme monogyne), tantôt avec plusieurs (forme polygyne).Ces reines diffèrent en fécondité, en physiologie et en comportement. Il en va de même pour la colonie, qui exhibe des caractéristiques différentes.

Des chercheurs de l’université de Lausanne (Suisse) et de Géorgie (Etats-Unis) viennent de montrer que ces variations sont sous la dépendance directe des gènes. En l’occurrence, c’est le gène Gp-9, dont l’expression influe 39 autres gènes, qui est concerné. Il en existe deux allèles : Gp9 BB et Gp-9 Bb (la forme bb est délétère et se traduit par une mortalité des larves ou des très jeunes insectes). Les fourmis Gp-9 BB n’acceptent qu’une seule reine dans leur colonie, alors que les fourmis Gp-9 Bb en acceptent plusieurs, à condition qu’elles soient porteuses de l’haplotype b (ce gène joue sur la communication chimique et la reconnaissance génétique). En retour, les chercheurs ont analysé les génomes d’individus provenant de 20 colonies monogynes et 20 colonies polygynes : ils ont trouvé que 91 gènes voient leur expression varier chez les travailleuses (fourmis stériles) selon la forme sociale.

Cette étude donne un exemple de ce que le biologiste anglais Richard Dawkins a appelé le « phénotype étendu » : un gène ne modifie pas seulement un trait physique d’un organisme, mais il peut aussi bien changer des traits plus complexes (ici une forme sociale) en modifiant le comportement des individus dans leur environnement et en influant en quelque sorte les conditions initiales de systèmes complexes. Cette notion de phénotype étendu ne concerne pas que les insectes sociaux, et l’on peut imaginer à titre d’hypothèse que l’homme n’en est pas exempt. Par exemple, si des gènes influent un certain trait psychologique, ce trait pourrait produire certaines pratiques ou certaines idées qui lui sont adaptées, et qui sont reconnues et acceptées plus facilement par d’autres porteurs des mêmes gènes. On a ainsi montré que des comportements religieux ou des tendances politico-morales (conservateurs versus libéraux) possèdent une part d’héritabilité, c’est-à-dire que ce ne sont pas seulement des idées ou des représentations circulant de manière aléatoire de cerveau en cerveau, mais s’installant aussi dans certains cerveaux plus facilement que dans d’autres, en partie pour des raisons génétiques.

Référence :
Wang J. et al. (2008), Genome-wide expression patterns and the genetic architecture of a fundamental social trait, PLoS Genetics, 4 (7): e1000127 doi: 10.1371/journal.pgen.1000127

Illustration : GISI (DR)

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