27.7.08

Neutralisation de la violence : phase II

Désir d’appartenance, désir de reconnaissance, désir de puissance : ces trois traits humains conduisent souvent à la violence. Le capitalisme s’est développé comme une réponse moderne à cette question : en mettant leur énergie dans le travail, en visant à acquérir des biens matériels, en transformant la nature plutôt que leurs semblables, en se concentrant sur leur intérêt égoïste, en acceptant l’échange par un équivalent universel (argent), les hommes devaient se divertir des passions dangereuses qui les menaient à la guerre. Ce ne fut qu’une demi-réussite : le capitalisme n’a nullement empêché le développement du nationalisme, du colonialisme ou de l’impérialisme ; il a provoqué des réactions fascistes, nazis et communistes à l’ordre social qu’il proposait.

Je fais l’hypothèse qu’une seconde phase de neutralisation de la violence est en train d’émerger, dont Internet et les réseaux numériques sont l’expression. A la suite d’Alexander Bard et Ian Söderqvist, et en première approximation, on peut appeler cette phase l’« informationalisme ». Elle ne remplace pas le capitalisme, mais s’y agrège. Elle ne concerne pas les biens matériels, mais les biens psychologiques et symboliques (les idées, les goûts, les valeurs, les sentiments, les symboles, le signes, les images, les emblèmes, etc.). L’énergie que les hommes mettent à transformer le cadre matériel (capitalisme) restait jusqu’à présent intacte quand il s’agissait de définir le cadre symbolique, c’est-à-dire l’idée partagée d’un monde beau, vrai, bon, juste, etc. D’où la fortune des idéologies / religions / récits collectifs visant à concentrer cette énergie mentale, à alimenter les désirs d’appartenance, de reconnaissance et de puissance, à produire finalement le conflit et la guerre entre visions antagonistes d’un monde commun désirable.

Avec Internet et plus généralement la numérisation du monde, on assiste à une implosion de ces grands récits canaliseurs et catalyseurs de violences symboliques. Noyés dans un flot immense et exponentiel d’informations, nous percevons peu à peu les anciens discours simplificateurs pour ce qu’ils sont, des approximations insatisfaisantes d’une réalité complexe et multiforme. Dotés de la capacité à exprimer ce qui nous importe par des textes, des images et de sons, nous préférons bâtir des cadres symboliques limités, circonscrits, de simples réseaux locaux d’appartenance et de reconnaissance n’ayant plus vocation de s’étendre à la société ou à l’humanité. Dans cette perspective, la disparition des anciens médias de masse one-to-many (télévisions, radios, journaux) accélérera la neutralisation par éparpillement des conflits symboliques ; et tous ceux qui se plaignent aujourd’hui de cette disparition ne sont jamais que d’anciens manipulateurs de symboles soucieux d’orienter le plus grand nombre d’hommes vers leurs fins personnelles. Car sur Internet, la puissance de ces manipulateurs rencontre inévitablement la puissance de tous les autres, et cette compétition affaiblit d’elle-même la portée de chaque entreprise.

Cette nouvelle économie du signe, du symbole et de la valeur manifeste en même temps qu’elle accélère la relativité générale des points de vue caractérisant la modernité. L’âge du capital nous invitait à construire en priorité notre cadre matériel, autour de soi et des siens. L’âge de l’information nous convie à bâtir en priorité notre sphère symbolique, autour de soi et des siens.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Et la non-violence de la poésie...