18.7.08

Le crime d'inhumanité me donne le Bourdon

L’imagination des intellectuels est toujours fertile. Dans Libération, William Bourdon (avocat, président de Sherpa - réseau international de juristes qui œuvrent en faveur d’une mondialisation humanisée) propose la création d’un « crime d’inhumanité », qui formerait le pendant « passif » du crime contre l’humanité dans les cas où l’inaction d’un État conduit à la mort d’une partie de sa population. Par exemple lorsque la junte birmane a bloqué les secours internationaux.

« (…) N’est-il pas temps alors d’introduire un nouveau crime « d’inhumanité » qui coïnciderait avec le refus absolu d’un État de permettre à la communauté internationale de porter secours à des populations en danger de mort, à l’issue de très grandes catastrophes. Le refus délibéré d’un État de respecter son obligation fondamentale de protéger ses citoyens et, par conséquent, de les vouer à une mort certaine, dès lors qu’il peut conduire à une immense tragédie, permet de considérer qu’il s’agit d’un crime international.

Un crime contre l’humanité par action, offense l’humanité dans ses valeurs les plus constitutives. Par omission, un tel comportement l’offense aussi. En hissant un tel crime au rang des crimes internationaux, le Conseil de sécurité serait plus enclin à prendre des résolutions sur le fondement du chapitre VII et ainsi autoriser l’usage de la force pour permettre l’accès aux victimes. Le risque d’être traîné dans le box à la CPI, encouru par ceux qui laissent cyniquement leur population mourir massivement, pourrait parfois peut-être dissuader de continuer à laisser se commettre le pire. Mettre sur le même plan les victimes de toutes les plus grandes tragédies naturelles et humaines pourrait obliger le Conseil de sécurité à leur porter secours sans discrimination et la CPI à en juger tous les responsables. (…) »


Qu’est-ce que le droit d’ingérence ? En simplifiant, c’est devenu le pouvoir que s’accordent certains États (démocraties libérales) à attaquer d’autres États sous prétexte qu’ils ne respectent pas leur morale (droits de l’homme, posés comme universels). Cela correspond au moment historique (1970-2000) où, selon l’expression de Marcel Gauchet, « les droits de l’homme sont devenus une politique » : en leur nom, certaines puissances agressent d’autres puissances, dans la perspective d’universaliser concrètement une certaine vision de l’individu et de ses droits fondamentaux. Les droits de l’homme se transforment en machine de guerre entre la partie de l’humanité s’en réclamant et celle ne s’en réclamant pas.

Le problème à mon sens est qu’ainsi pris en otage dans le « grand jeu » de la politique mondiale, les droits de l’homme se trouvent totalement vidés de leur substance et de leur esprit originel. Car la seule lecture cohérente de ces droits est de nature individualiste et négative : ils posent des libertés de l’individu face à son propre gouvernement ; ils n’incluent aucune obligation vis-à-vis d’autrui, dans sa propre société ou au-delà. En d’autres termes, c’est aux individus de défendre leurs libertés, y compris en autodéfense face aux gouvernements qui voudraient les en priver, mais certainement pas en devoir d’assistance aux autres individus de la planète, particulièrement lorsque ce devoir prend la forme de la violence étatique. Un tel altruisme érigé en obligation, c’est toujours l’État qui le crée et l’impose, pour servir en dernier ressort ses intérêts d’État et sa logique de groupe (fut-elle légitimée par une démocratie formelle).

Si les démocraties libérales respectaient vraiment les droits de l’homme, elles n’auraient donc aucune capacité d’intervenir dans le monde, comme le souhaitent William Bourdon et avec lui les sectateurs de l’interventionnisme humaniste. Ces démocraties libérales comme États ne peuvent développer leur puissance militaire qu’en prélevant de manière obligatoire la richesse des individus à cette fin. En tant qu’individu, mon adversaire premier n’est pas l’État birman, mais l’État français qui prétend me mobiliser de force pour faire la morale, voire la guerre, à l’État birman. Et les tenants de la guerre juste ne seront jamais à mes yeux que les idiots utiles au service de telles violences étatiques.

1 commentaire:

Pan a dit…

Le paradoxe est joliment posé. Bravo pour votre blog.