22.7.08

Par un étrange renversement de la nature de l'homme...

« Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser : c'est tout ce qu'ils ont pu inventer pour se consoler de tant de maux. Mais c'est une consolation bien misérable, puis qu'elle va non pas à guérir le mal, mais à le cacher simplement pour un peu de temps, et qu'en le cachant elle fait qu'on ne pense pas à le guérir véritablement. Ainsi par un étrange renversement de la nature de l'homme, il se trouve que l'ennui qui est son mal le plus sensible est en quelque sorte son plus grand bien, parce qu'il peut contribuer plus que toute chose à lui faire chercher sa véritable guérison ; et que le divertissement qu'il regarde comme son plus grand bien est en effet son plus grand mal, parce qu'il l'éloigne plus que toute chose de chercher le remède à ses maux. »

Ces pensées pascaliennes appliquées au monde actuel : nous continuons de nous divertir, plus que jamais dans la société du travail, du spectacle et du loisir, parce que nous continuons au fond de voir la mort, la misère, l’ignorance comme des fatalités, nous continuons d’accepter la présente condition humaine comme inéluctable et indépassable, nous continuons de raisonner comme Pascal le fit malgré les trois siècles écoulés. Pourtant, le « remède à ses maux » n’est désormais plus cantonné à l’alternative de l’oubli dans le divertissement ou de la consolation dans la religion : le « renversement de la nature de l’homme » est devenu sa propre solution, mais dans un sens concret que Pascal ne pouvait évidemment envisager, c’est-à-dire dans le sens d’une modification biologique et psychologique du matériau humain, d'un désir retourné sur lui-même. Dépassement plutôt que divertissement. Et mutation plutôt que religion.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Comme vous le savez, Pascal était un physicien, mathématicien disons le presque de génie, qui après une expérience mystique délaissa les mathématiques pour une réflexion philosophique et religieuse. Il a été un sacré jouisseur, plutôt frivole, a bien profité de son argent (héritage paternel) et de la vie, avant d'écrires ses fameuses pensées éditées à titre posthume.
Certaines pensées de Pascal, sont d'un niveau incroyablement élevé. Comme si ce physicien, ce chercheur, ce découvreur de presse hydraulique et autres inventions, avait vraiment trouvé quelques éclairs de lumière quelque part dans son dernier ouvrage.

Merci de parler de lui dans votre blog Charles Muller.

Toutes les pensées en version HTLM.

http://www.bribes.org/trismegiste/pastable.htm

Anonyme a dit…

Clic sur le lien directement

Anonyme a dit…

Tout n'est sans doute pas génial dans les pensées, et il a du surement écrire aussi des c... parfois, mais il a eu quelques éclairs comme:

Dieu est une sphère infinie, dont le centre est partout et la circonférence nulle part.

Anonyme a dit…

Cela dit, je ne vois pas vraiment d'issue à l'alternative de Pascal. La mort reste une réalité que nous fuyons dans le divertissement (au sens large, le passe-temps futile comme le travail).
De toute évidence, nous sommes nés trop tôt pour bénéficier d'une quelconque forme d'immortalité. Il nous faut donc tous affronter de face la question de la mort.
A cette occasion, c'est bien moins souvent un appel vers la transcendance divine qui s'exprime chez moi qu'un profond et pesant désespoir.
Pas toi ?

C. a dit…

(Pierre) Oui bien sûr, nous n'avons toujours pas de moyen d'échapper à la mort. Mais la grande différence depuis le XVIIe siècle, c'est qu'il n'est plus incongru de poser la jouvence éternelle comme l'objet d'une quête rationnelle. Comme le projet SENS d'Aubrey de Grey, par exemple. Plus généralement, ce qui était identifié comme des faiblesses humaines inéluctables (la maladie, l'infortune de naissance, le vieillissement, etc.) est désormais sorti du registre de la fatalité pour entrer dans celui de la volonté.

Anonyme a dit…

Oui, la science rend moins fatales des données qui consitutaient les limites (la misère, dirait Pascal) de notre condition.

Je pense toutefois que pour Pascal, cela aurait représenté une fuite comme une autre.
Il dit en permanence d'ailleurs que tous nos efforts pour nous prémunir de la mort et de ses signes (maladie, vieillissement) sont vains et caractéristiques des illusions dont l'homme se berce dans le divertissement (l'éludement de notre condition).
Pour Pascal, vivre vingt ou deux cent ans revient au même (tout intervalle de temps tend de toute façon vers zéro lorsqu'on le compare à l'infini). L'important étant pour lui de consacrer son temps à la rechercher de la vérité et au salut de son âme. Vivre mille ans en s'investissant dans des activités futiles sans jamais s'interroger sur sa condition revient à ne pas vivre du tout.

Tout ça pour dire qu'il faut manier Pascal avec précaution, quand on est positiviste... car tu n'es qu'un affairé savant poursuivant des buts vains :)

C. a dit…

Ah mais... je ne suis pas du tout pascalien, je laissais divaguer mes pensées depuis la lecture des siennes.

Et sinon, eh bien je préfère passer 1000 ans plutôt que 20 à chercher la vérité :D

Anonyme a dit…

Pour rebondir et à toutes fins utiles : à l'adresse ci-dessous un traitement littéraire de la question ADN ...

http://sergeuleski.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/10/17/adn-vous-avez-dit-adn.html

cordialement
Serge ULESKI

Anonyme a dit…

Dans le genre "philosophe triste", voici un extrait de Schopenhauer qui devrait te plaire :

"Aussi voyons-nous que l'intérêt irrésistible des systèmes philosophiques ou religieux réside tout entier dans le dogme d'une existence quelconque, qui se continue après la mort. Certes, les religions ont l'air de considérer l'existence de leurs dieux comme la chose capitale, et elles la défendent avec beaucoup de zèle; mais au fond, c'est parce qu'elles ont rattaché à cette existence leur dogme de l'immortalité, et qu'elles regardent celle-ci comme inséparable de celle-là ; c'est l'immortalité qui est proprement leur grande affaire. Qu'on la leur assure, par un autre moyen, aussitôt ce beau zèle pour leurs dieux se refroidira ; il finirait par faire place à une entière indifférence, si on leur démontrait l'impossibilité absolue de l'immortalité. Comment s'intéresser à l'existence des dieux, quand on a perdu l'espérance de les connaître de plus près? On irait jusqu'au bout, jusqu'à la négation de tout ce qui se rattache à leur influence possible sur les événements de la vie présente. (...) Et voilà pourquoi, les systèmes proprement matérialistes, de même que le scepticisme absolu, n'ont jamais pu exercer une bien profonde et une bien durable influence. "

Le Monde comme volonté et comme représentation, II, 294-296.

Anonyme a dit…

Oui, je m'appelle anonyme parfois, j'adore ce prénom.

C. a dit…

(Sur Schopenhauer) Oui, c'est intéressant, mais cette perspective du salut et de l'immortalité me semble limitée à certaines religions, non ? Peut-être me trompé-je, mais je ne pense pas qu'un Grec ancien ou un bouddhiste ou un shintoïste croit en quelque chose comme l'éternité d'un élément personnel (âme, esprit) qui survivrait à la déchéance du corps en conservant ce caractère personnel (et pour ainsi dire "conscient", certains passages du Coran étant les plus explicites sur les plaisirs dans les jardins d'Allah, par rapport à l'Ancien et au Nouveau Testaments).

Anonyme a dit…

Pour ce que j'en sais, la survivance de l'âme est un thème courant dans la Grèce antique (l'Enfer, comme lieu de résidence des morts, est l'objet de croyance d'à peu près tous, hormis les épicuriens, par ailleurs incroyants avérés).

Tout cela est beaucoup plus compliqué pour les bouddhistes qui, en dehors de quelques croyances fantaisistes (transmigration des âmes), ne mentionnent quasiment aucune transcendance. Peut-on considérer le bouddhisme comme une religion, ou comme une doctrine mobilisant la capacité de croire ? J'en doute un peu.

Schopenhauer d'ailleurs, avait beaucoup d'affinités avec les bouddhistes, tout en étant un anti-monothéiste convaincu. Le constat qu'il fait simplement est celui de l'existence de la souffrance et de la misère ; les religions ne prospèrent pour lui qu'à la faveur d'une promesse, celle d'une vie meilleure, ailleurs, plus tard. Cela me semble tout à fait indiqué, dans la mesure où j'adhèrerais moi-même à une quelconque organisation me la garantissant (notre goût commun pour la technoscience, et pour en revenir à la discussion sur Pascal, ne vient-il pas de là ? et les promesses d'amélioration et d'allongement de la vie par la technique ne sont-elles pas le plus sûr moyen de sa propagation dans les masses ?).

Il est d'ailleurs amusant de constater que l'hindouisme ou le bouddhisme promettent, comme récompense des bonnes actions, précisément le contraire, à sa voir la non-réincarnation, et l'extinction définitive de l'individualité...