20.7.08

Péché originel des philosophes

« Tous les philosophes ont en commun ce défaut qu’ils partent de l’homme actuel et s’imaginent arriver au but par l’analyse qu’ils en font. Ils se figurent vaguement « l’homme », sans le vouloir, comme aeterna veritas, comme réalité stable dans le tourbillon du tout, comme mesure assurée de toute chose (…) Or, tout l’essentiel de l’évolution humaine s’est déroulé dans la nuit des temps, bien avant ces quatre mille ans que nous connaissons à peu près ; l’homme n’a sans doute plus changé beaucoup au cours de ceux-ci. Mais voilà que le philosophe aperçoit des « instincts » chez l’homme actuel et admet qu’ils font partie des données immuables de l’humanité, qu’ils peuvent fournir une clé pour l’intelligence du monde en général ; toute la téléologie est bâtie sur ce fait que l’on parle de l’homme des quatre derniers millénaires comme d’un homme éternel sur lequel toutes les choses du monde sont naturellement alignées depuis le commencement. Mais tout résulte d’un devenir ; il n’y a pas plus de données éternelles qu’il n’y a de vérités absolues » (in Humain trop humain I, 2 ; édition Colli Montinari, III, p. 32)

Que Nietzsche soit parvenu à un tel diagnostic à l’intérieur de l’histoire de la philosophie, voilà bien l’exploit devant soulever l’admiration des darwiniens. Et pourtant, 150 ans après Darwin, 130 ans après ce texte, nous voyons toujours la reproduction du péché originel des philosophes, l’incapacité à repenser l’homme en termes de devenir, de contingence, d’accident. A ce rythme-là, l’homme aura un jour disparu dans ses métamorphoses post-humaines, et les philosophes continueront d’en parler comme si de rien n’était.

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