23.5.08

Trompons-nous les uns les autres

Voici une quinzaine de jours, Le Monde a publié des photographies présentées comme les premières prises de vue au sol de la ville d’Hiroshima peu après le bombardement atomique du 6 août 1945. Ces photographies provenaient de la Hoover Institution de l'Université Stanford, à laquelle elle avait été transmise par un donateur anonyme (à ce jour). L’auteur serait un soldat américain, Robert Capp. Mais il s’est avéré que ces photographies étaient en réalité celles des victimes d’un tremblement de terre de 1923, qui fit 100 000 victimes dans la plaine de Kanto, près de Tokyo.

Cette affaire est abondamment commentée, car elle fait suite à plusieurs « bévues » des médias traditionnels, notamment l’annonce inexacte (prématurée en l’occurrence) de la mort de Pascal Sevran par la radio Europe 1, à l’initiative de Jean-Pierre Elkabbach. Comme d’habitude, bien des voix se plaignent de l’influence délétère de l’Internet, où circulent toutes sortes d’informations non vérifiées et parfois non vérifiables. Les « vrais » médias seraient contaminés par une logique du scoop, du buzz, de l’urgence, du sensationnel. C’est évidemment risible, les mêmes médias ayant passé une bonne part de l’histoire à servir la soupe des pouvoirs en place, démocratiques ou totalitaires, cachant l’existence de l’enfant naturel d’un président de la république, diffusant en boucle les images sélectionnées par le commandement américain lors de la première Guerre du Golfe, reproduisant la ligne de l’idéologie en place ou bien d’idéologies contestataires de ce pouvoir, et ainsi de suite.

L’idée d’une information « transparente » ou « vraie » est de toute façon illusoire à plus d’un titre. La plupart des médias installés dépendent à un degré ou à un autre des pouvoirs publics, des actionnaires ou des annonceurs, ce qui crée un premier biais défavorable à l’objectivité. Les journalistes sont des humains comme les autres, ce qui produit un deuxième biais : leurs cerveaux sont poreux aux opinions, aux passions, aux croyances, aux idéologies, aux conformismes, etc. de sorte qu’ils interprètent le monde en même temps qu’ils le décrivent, en sélectionnant dans la masse immense des informations ce qui leur semble le plus pertinent – pertinence étant ici une autre appellation du préjugé. Les lecteurs, auditeurs, spectateurs ou internautes sont eux aussi des humains comme les autres, et nous voici avec un troisième biais : ils cherchent généralement à croire, pas spécialement à connaître, et il croit volontiers ce qui est faux ou infalsifiable pourvu que cette croyance les conforte. Si l’on cherche une source inépuisable d’informations fausses, pas la peine de s’en prendre aux médias, recommençons la bonne vieille critique des religions auxquelles 80 % des humains adhèrent encore alors même qu’elles se fondent sur une somme impressionnante de propositions fantaisistes concernant la nature des êtres et des choses. Enfin, la somme totale des informations excédera toujours la capacité humaine à les traiter, a fortiori à les vérifier, de sorte que même si l’on fait l’effort d’en certifier une toute petite partie, nous abandonnerons le reste au flot du flou et du bruit.

Le cerveau humain est une machine à (se) tromper et la tromperie occupe en conséquence une place de premier plan dans les rapports humains, toute pratique pouvant être analysée sous l’angle des manipulations et distorsions qui la fondent. Celui qui vous dit : « ah mais moi, j’ai une morale, j’ai une déontologie, j’ai un idéal » a de bonnes chances d’être encore plus trompeur que les autres – et aussi souvent d’être idiot, ce qui n’arrange rien. Telle est ma vérité du jour, mais vous aurez compris qu’elle est aussi bien mon mensonge. Si je puis distiller le doute dans votre esprit, j’aurai fait œuvre modeste de prophylaxie contre le plus terrifiant des virus mentaux frappant l’humanité depuis ses origines, celui de la certitude.

PS : mon petit doigt me dit que le mois de juin apportera une troublante expérience sur ces questions. Ceci pour vous garder en éveil, nous en reparlerons plus longuement…

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