Dans un sondage très large mené en 1998 dans 36 pays, il ressortait que 70 % des individus approuvaient massivement l’assertion : mon destin est entre mes mains (International Social Survey Programme, 1998). La croyance au libre-arbitre est la chose la plus répandue du monde, au moins dans nos sociétés occidentales ou modernes. Mais d’un autre côté, les avancées de la génétique et des neurosciences remettent régulièrement en question sinon l’existence, du moins la portée de ce libre-arbitre. Un grand nombre des actes individuels sont déterminés par des penchants ou des mécanismes n’accédant pas à la conscience de l’agent, que leur cause soit distale (évolutive) ou proximale (développementale), selon le jargon des chercheurs comportementalistes. La vie consciente n’est qu’une petite partie de la vie mentale : notre cerveau évalue en permanence notre environnement, mais sans nous en tenir informé. Et l’évolution nous a légué certaines dispositions à adopter des préjugés.
Kathleen D. Vohs et Jonathan W. Schooler ont examiné si le degré de croyance dans notre libre-arbitre affecte la moralité de nos comportements. 122 participants (dont 46 femmes) ont participé à deux types d’expérience. Dans l’une, un ordinateur truqué donnait par erreur la réponse à un test arithmétique que les sujets étaient censés réussir tout seul. Ils pouvaient supprimer ce biais en appuyant sur une touche, et leur choix était enregistré à leur insu. Dans l’autre, les participants devaient remplir une quinzaine de tests cognitifs et se voyaient rétribués de 1 $ à chaque test réussi. Mais la surveillante prétextait un dérangement lors du test, laissait les individus corriger eux-mêmes leurs réponses à la fin de l’examen et se contentait de leur demander la somme de réponses exactes, donc la somme à verser.
Pour chacune de ces expériences, les individus avaient été conditionnés auparavant. Dans la première, les uns lisaient des passages d’un livre de Francis Crick (The Astonishing Hypothesis) tantôt dirigés contre l’existence du libre-arbitre, tantôt neutres sur la conscience. Dans la seconde expérience, trois groupes étaient constitués et devaient lire une série de phrases en y réfléchissant une minute : il s'agissait soit de propositions minimisant l’importance ou l’existence du libre-arbitre, soit de propositions valorisant au contraire ce même libre-arbitre, soit enfin des phrases neutres (groupe de contrôle).
Résultat : les deux psychologues ont trouvé un biais significatif vers la tricherie chez les groupes conditionnés à nier ou minimiser le libre-arbitre, par rapport au groupe ayant subi l’influence contraire ou au groupe de contrôle. « Le fait qu’une exposition brève à des messages affirmant que le libre-arbitre n’existe pas puisse accroître la tricherie passive ou active implique que populariser une vision du monde déterministe pourrait saper le comportement moral ».
On a tous en tête la phrase que Dostoïevski prête à l’un de ses personnages de roman (Frères Karamazov): « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ». L’expérience de Vohs et Schooler nous invite à une sorte de détournement paradoxal : « Si le libre-arbitre n’existe pas, tout est permis ». Qui n’est pas si paradoxal en fait : on peut imaginer que le cerveau humain est programmé à respecter des règles de comportement à condition de croire en la fiabilité ou l’autorité des sources de ces règles (Dieu, le libre-arbitre, peu importe). Ce qui ne serait évidemment pas une pièce à conviction pour l’existence du libre-arbitre, plutôt une nouvelle démonstration de la conformité au groupe et à ses idées dominantes…
Référence :
Vohs K.D., J.W. Schooler (2008), The value of believing in free will: encouraging a belief in determinism increases cheating, Psychol Sci., 19, 1, 49-54.
Le texte peut être téléchargé ici. (pdf, anglais)
Illustration : C. Muller.
(Merci à Nick d’avoir attiré mon attention sur ce travail).
27.5.08
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