28.5.08

Notes sur le libre-arbitre

Le concept de libre-arbitre n’existait pas dans la pensée grecque. Il a été créé par Augustin, dans un cadre théologique donc, avec comme objectif de régler le problème du mal en rapport à Dieu et à l’homme (en quoi l’homme est-il responsable du bien ou du mal si Dieu est l’auteur du monde et si la volonté divine dirige son cours).

Cette origine métaphysique pèse encore sur l’idée que l’on se fait du libre-arbitre : on le voit comme une faculté indivisible et immuable dont tout homme serait doté, un peu comme l’âme pour les croyants, justement. Si le libre-arbitre existe, chose restant à démontrer, je ne pense pas qu’il soit également réparti ou exprimé chez les hommes (au même titre que les autres facultés émotives ou cognitives). On considère d’ailleurs que les fous en sont privés, et en cela qu’ils sont partiellement irresponsables de leurs actes, ou bien qu’ils doivent être soignés plutôt que punis. Mais la folie n’est pas une variation discontinue s’opposant de manière nette à l’état normal de l’esprit, plutôt un dysfonctionnement d’intensité variable de certaines zones cérébrales et des facultés associées. Et certaines limites sont par nature arbitraires : par exemple, dans telle société, un individu doté d’un QI de 69 sera réputé incapable, mais un autre d’un QI de 70 sera jugé pleinement responsable. Pourtant, un point de QI ne change pas substantiellement une personne. C’est également vrai pour l’individu dit « normal », avec les variations de la responsabilité selon l’âge : un enfant de 5 ans n’est pas responsable de ses actes car on présume que son libre-arbitre n’est pas assez développé. On retombe sur l’idée d’une expression variable du libre-arbitre, ainsi que sur des observations de sens commun mettant en doute la précision du concept (on connaît tous des adultes de 20 ans paraissant plus irresponsables que des enfants de 10 ans). Nous avons pratiquement besoin de ce genre de limites créant une présomption de libre-arbitre. Mais cela ne signifie pas qu’elles sont intellectuellement fondées ou satisfaisantes.

Plus nous en savons sur l’esprit, plus nous observons sa porosité à des déterminations non conscientes (innées ou acquises), moins le concept de libre-arbitre est évident. Cela n’a guère de conséquences pour le moment, hormis devant les tribunaux où l’expertise psychiatrique est requise. Mais on ne peut préjuger des conclusions futures des sciences de l’esprit, ni de l’influence qu’elles auront sur le socle de la liberté et de la responsabilité individuelles, devenues si centrales dans nos sociétés.

(Voir le récent travail de Vohs et Schholer, rapporté ici, qui est à l’origine de cette réflexion).

Aucun commentaire: