10.5.08

Le corps du délit

Dans sa chronique du Monde consacrée à la mode du fitness, Jean-Michel Dumay observe :

« Initiée par la vague hygiéniste du XIXe siècle qui a montré l'importance des soins à lui prodiguer, puis boosté par le XXe qui l'a valorisé en l'exhibant jusqu'à le dénuder et le "marchandiser", l'attention accordée au corps n'est pas nouvelle. Elle prend cependant des proportions inédites au XXIe siècle. Quelque 31 % de Français sondés en janvier par l'institut Ipsos ont ainsi confié s'adonner à la pratique du body fitness, en club ou en solo. Ils n'étaient qu'un quart en 2000 et 27 % en 2005. Cette progression du fitness, qui compterait, selon Ipsos, de 14 à 15 millions d'adeptes en France, expliquerait à elle seule la hausse de la pratique sportive ces trois dernières années. Elle s'observerait principalement chez les femmes et les jeunes (44 % parmi les 15-24 ans).
(…)
C'est très moderne, dans les sociétés occidentales, cette façon de vouloir, au sens premier, "(re)mettre en forme" son corps (les Chinois, avec la pratique du tai-chi, ne l'ont jamais perdu de vue). Cette volonté de le modeler, de (tenter de) le maîtriser. De croire, peut-être aussi, qu'en transformant son corps, on transformera sa vie. "Dans une société individualiste, note Elisabeth Tissier-Desbordes, sociologue de la consommation, le corps devient un double, un autre privilégié, un partenaire, un alter ego qui sert ou dessert le propriétaire de ce corps. Il est l'autre le plus proche de l'individu." Et, nonobstant, celui qui permet d'attirer le regard des autres. »

Ce soin porté au corps dans son aspect général (sa forme externe) se développe et se double d’un soin porté à chacun de ses élements et de ses mécanismes (sa fonction et sa structure internes). D’où vient ce phénomène ? Le christianisme a imposé une vision dépréciatrice du corps comme simple véhicule transitoire de l’âme et comme instrument du péché. L’émergence du corps à l’âge moderne, c’est avant tout le reflux de cette immense pathologie de l’esprit exigeant que l’on valorise la souffrance plutôt que le plaisir, que l’on regarde avec suspicion et mépris ses propres désirs, que l’arrière-monde et l’après-vie soient plus importants que ce monde et cette vie. Et aujourd’hui encore, dans nos sociétés ayant du mal à faire leur deuil de cet héritage chrétien, on voit prospérer tous les discours de ceux qui ont un problème avec ce corps, qui tentent par tous les moyens de dévaloriser et de culpabiliser l’attention qu’on lui porte. On ne parlera plus de pécheurs, bien sûr, mais on exprimera tout de même son mépris pour le souci de l’apparence, sa réserve sur le culte de la performance, ses inquiétudes sur la réification du corps, sa peur des dérives dans les usages de ses gènes, de ses cellules, de ses tissus, de ses organes, etc. Bref, on soupçonnera toujours volontiers l’individu d’être mauvais lorsqu’il entend librement disposer de son corps. Ou bien d'être inférieur s'il néglige pour cela son esprit, un esprit que l'on se représente comme séparé du corps.

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