30.5.08

L'hymen, le juge et le contrôle de qualité

Polémique en France : le tribunal de grande instance de Lille a annulé un mariage pour erreur sur les qualités essentielles de l’un des conjoints. En l’occurrence, il s’agissait d’un couple musulman et la femme avait menti à l’homme sur sa virginité. Comme le rappelle le journal Le Monde, le juge s’est appuyé sur l’article 180 du code civil posant : « s'il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l'autre époux peut demander la nullité du mariage », et cela dans un délai de cinq ans. Des nullités ont été prononcées dans diverses situations : découverte qu’un conjoint est divorcé, qu'il a menti sur sa nationalité, qu'il fait l'objet d'une curatelle ou qu'il n'est pas apte à des relations sexuelles normales.

La plupart des politiques de droite comme de gauche, ainsi que les féministes comme Elisabeth Badinter ou Ni putes ni soumises, ont vu dans cette décision de justice une atteinte au droit des femmes et une reconnaissance de traditions obscurantistes. Je ne suis pas suspect de sympathie pour la religion, surtout pour les religions monothéistes et leur vision névrotique de la femme, mais je trouve cet émoi mal placé. Si, comme c’était le cas, l’un des conjoints faisait de la virginité une qualité essentielle nécessaire à son consentement, le fait qu’il ait été trompé sur ce point annule la valeur dudit consentement, donc celle du mariage. Ce dernier n’est jamais qu’un contrat entre deux personnes fondé sur leur volonté libre et éclairée.

Ce qui me gêne beaucoup en revanche, c’est de découvrir à cette occasion que le juge est doté du pouvoir exorbitant de statuer sur ce que sont des « qualités essentielles de la personne ». Cela confère à l’État une capacité de décision axiologique et symbolique considérable. Et j’avoue être incapable d’imaginer une limite entre ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas : pourquoi ne pas annuler un mariage si la femme ne sait pas faire des choux à la crème (alors qu’elle avait dit le contraire), n’accepte pas la sodomie ou la fellation (alors qu’elle avait dit le contraire), est violemment hostile aux OGM (alors qu’elle avait dit le contraire), est baptisée (alors qu’elle avait dit le contraire), admire la classe de Nicolas Sarkozy (alors qu’elle avait dit le contraire), etc. En cinq ans, j’ai le temps de trouver plein de défauts à une personne et d’estimer rétroactivement que si cette personne ne m’avait pas caché ce défaut avant le mariage, je n’y aurais peut-être pas consenti. A titre personnel, la présence ou l’absence d’un hymen me semble à peu près du même niveau symbolique et intellectuel que les exemples ci-dessus, un peu moins grave en fait, et je ne vois pas pourquoi un juge aurait le dernier mot sur ce genre d’estimation.

Ma conclusion : le problème de fond ne vient pas des obsessions hymenales des mariés jaloux, mais du poids que l’on accorde à l’État dans la gestion de nos existences. Il vaudrait mieux retirer à celui-ci le contrôle du mariage, pour en faire un simple contrat privé où les individus stipulent librement ce qu’ils estiment être les qualités essentielles du conjoint, ainsi que leur délai d’observation. Car après tout, personne n’est meilleur juge de ces qualités que soi-même. Mais bien sûr, il faudrait pour cela poursuivre le travail d’autonomisation de la Modernité, dénoncer dans l’emprise de l’État la réplication de l’ancienne emprise de l’Église, en finir avec la pensée magique selon laquelle la société ne pourrait survivre que par une sacralisation publique de certaines institutions, prendre les droits de l’individu au sérieux... Contre cette perspective, on trouve encore une coalition de conservatismes et de conformismes allant bien au-delà du seul obscurantisme de tel ou tel religion.

Aucun commentaire: