22.5.08

Qui a peur des hybrides humain-animal?

Dans le cadre de sa révision des lois de bio-éthique appliquées à la reproduction (Human Fertilisation and Embryology Bill), dont nous avons déjà parlé ici, le Parlement anglais vient de rejeter par 336 voix contre 176 un amendement visant à interdire la création d’embryons hybrides humain-animal. Ce qui sera donc autorisé à l’avenir outre-Manche (comme ça l'est déjà aujourd'hui).

De quoi s’agit-il ? Les chercheurs du monde entier travaillent sur les cellules souches embryonnaires humaines (ESh), qui ont la capacité de se différencier en n’importe quel type de cellule spécialisée, c’est-à-dire de donner naissance à des cellules de cœur, de foie, de peau, etc. L’objectif à terme est de régénérer des tissus lésés ou nécrosés. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, nous en savons encore très peu sur ces cellules ESh, notamment la manière dont elles perdent leur totipotence pour se diviser en trois feuillets (ectoderme, endoderme et mésoderme) au stade précoce de l’embryogenèse, puis se spécialiser au sein de ces lignées. Même chez le modèle animal (murin ou primate), les mécanismes d’autorenouvellement et de différenciation sont peu maîtrisés. Mais pour établir des lignées ESh, il faut actuellement avoir recours à des embryons humains dits surnuméraires (abandonnés sans projet parental après une fécondation in vitro) ou, au minimum, à des ovocytes (ovules) féminins. Un embryon hybride permet de recourir à des ovocytes animaux, que l’on vide de leur noyau (contenant l’ADN dit nucléaire) pour le remplacer par un ADN nucléaire humain, éventuellement issu d’une cellule adulte (fibroblaste).

Les opposants, notamment les députés catholiques anglais, ont donc critiqué un projet qui permet d’éviter leur principal grief contre la recherche, à savoir la manipulation directe de l’embryon humain. Quant à la presse populaire, elle a vite ressorti les spectres habituels de la science-fiction : Dr Frankenstein, Dr Moreau, 1984 et Meilleurs des mondes, toutes ces béquilles permettant à l’aile dogmatique du monothéisme ou du monohumanisme de réveiller les peurs des foules sentimentales. N’éduquez pas la raison, flattez les pulsions : cela marche parfois avec les OGM, pourquoi pas avec les embryons et les cellules souches ? C’est oublier que la loi anglaise fixe précisément les conditions de recherche sur les embryons hybrides : ils ne doivent pas dépasser 14 jours de développement, leur réimplantation chez l’animal ou chez la femme est interdite. Nulle part il n’est question de donner naissance à un être hybride.

La peur d’une humanité « jouant à Dieu » en créant des hybrides est particulièrement cocasse. L’hybridation est ainsi la règle dans le domaine animal et végétal depuis le Néolithique : presque qu’aucune des espèces que nous consommons de l’agriculture ou de l’élevage n’est naturelle, toutes sont issues de sélections et croisements artificiels entre des espèces sauvages. Autre exemple : l'insuline que s'injectent plusieurs dizaines de millions de diabétiques dans le monde était jadis extraite d'hormones purifiées de porcs ou de bœufs, elle est aujourd'hui fabriquée par des bactéries (E. coli) dans lesquelles on insère des gènes humains. Cette hybridation partielle ne choque personne.

Chaque débat de bio-éthique permet de diviser un peu plus clairement l’opinion. Dans un camp, ceux qui brandissent toujours les mêmes interdits avec les mêmes arguments, par réflexe (ils n’ont pas envie de comprendre des enjeux scientifiques, ils rejettent en bloc des innovations dont la complexité les dépasse) ou par intérêt (ils servent leur chapelle idéologique ou religieuse, ils vendent de l’information alarmiste sur leurs parts de marché médiatique). Dans l’autre, ceux qui exercent leur raison critique pour examiner au cas par cas les intérêts biomédicaux d’une recherche et sa recevabilité morale. Laquelle, dans la plupart des cas, ne pose aucun problème. Ou ne devrait en poser aucun : Paul Feyerabend défendait jadis le principe de séparation de la science et de l’État, on devrait y réfléchir plus sérieusement en France où l’État se laisse gangrener par des lobbies et des croyances non représentatives de la société dans son ensemble.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Au sujet de l'insuline "fermenté", dire que personne ne s'en préoccupe me semble faire preuve d'optimisme ; en fait, c'est très peu connu ! J'ai une amie diabétique qui est très ant-OGM, et quand je lui ai fait remarquer que c'était un comble, elle n'a pas compris pourquoi. Je ne suis pas certain de l'avoir convaincue, mais ses convictions anti-OGM sont un peu moins stridentes, me semble-t-il. ..