4.5.08

Ma mauvaise nouvelle - réflexion sur le relativisme naturel

Selon le relativisme culturel, les hommes forgent leurs convictions depuis les représentations de leur culture d'origine : des cultures différentes produiront des convictions différentes. On oppose souvent à cela que les hommes, tout différents qu'ils soient par leurs langues ou leurs coutumes, possèdent un répertoire commun d'émotions ainsi qu'un usage partagé de la raison. Un certain universalisme naturel l'emporterait ainsi sur le relativisme culturel, et pourrait par exemple fonder une morale commune.

Je ne vois pas les choses ainsi, je soupçonne dans ce genre de vue le prisme de nos anciennes croyances religieuses, formant encore notre horizon de pensée, au moins celui qui est jugé le mieux recevable dans la bonne société — voyez-vous il est si difficile d'oublier la "bonne nouvelle" de l'unité des hommes et de mésestimer la bonne conscience qui l'accompagne, cet évangile de la consolation apportant toujours de petites gratifications à ceux qui le partagent.

Ce que dévoilent peu à peu les progrès de la biologie et de la psychologie, c'est à mon sens une relativité d'un genre inédit : les hommes ne divergent pas seulement en raison de la diversité de leurs groupes d'appartenance, ils se différencient de manière plus fondamentale et plus originelle par la manière dont leur cerveau appréhendent leur milieu (y compris les autres, y compris leur groupe). La philosophie nous a habitués à voir la sensibilité ou la rationalité comme des propriétés à peu près identiques chez tous les humains, mais il n'en est rien : elles varient exactement comme varient la taille, le poids, la couleur de la peau, de l'oeil et du cheveu, n'importe quel autre trait physiologique. Il ne peut guère en être autrement, puisque la sensibilité (aptitudes émotives) et la rationalité (capacités cognitives) ne sont jamais à la base que propriétés matérielles du cerveau, soumises aux variations moléculaires et cellulaires caractérisant le vivant et ses traits. Dès lors, croit-on un seul instant que des individus très sensibles seront réceptifs aux mêmes discours que des individus peu sensibles ? Que des individus très rationnels adopteront les mêmes idées que des individus peu rationnels ? Et que dire de nos traits de personnalité... Pense-t-on que tel individu altruiste portera les mêmes jugements que tel autre égoïste ? Imagine-t-on que tel individu si anxieux aura les mêmes attentes que tel autre si paisible ?

Avant d'être une machine logique séparant le vrai du faux, ce qu'il fait d'ailleurs avec la plus grande difficulté et au prix d'un effort soutenu, le cerveau humain est un organe symbolique produisant des valorisations — du bon et du mauvais, du bien et du mal, du beau et du laid, du juste et de l'injuste, de l'agréable et du désagréable, du désirable et de l'indésirable, etc. — et il ne valorise pas de la même manière ni les mêmes choses d'un individu à l'autre. On aimerait que la raison trouve une ressource pour trancher parmi ces différences mais le plus rationaliste des philosophes n'échappe pas au soupçon que je formule ici - s'il valorise la rationalité et l'objectivité, n'est-ce pas après tout parce qu'il est mieux doté que d'autres sur ces traits, qu'il envisage avec plaisir un monde partageant sa manière de voir le monde ?

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