2.10.08

«Une sorte de darwinisme philosophique»

Alors que le concert des pleureuses et des hargneuses appelle au grand retour de l’Etat, de la réglementation et de la norme, si possible à l’échelle planétaire, un intéressant point de vue de Laurent Gervereau (directeur du Musée du vivant) dans Le Monde :

«(…) Il ne peut s'agir d'imposer une standardisation, ni du mode de vie, ni du comportement individuel. Voilà donc le grand enjeu à venir : diversité contre norme.

Cet enjeu n'est plus le capitalisme contre le communisme. Il postule le mouvement perpétuel avec une sorte de darwinisme philosophique, contre toute fin de l'histoire. Il dépasse tout conflit de civilisations anciennes, visions rétro, postmodernisme fatigué. Soit nous appliquons en effet une philosophie de la relativité, c'est-à-dire que, religieux ou non religieux, nous concevons un univers de choix et de variété d'attitudes et de points de vue. Soit nous pensons détenir une vérité absolue, non discutable, non modifiable, qu'elle soit profane ou sacrée, et nous voulons imposer à tous de la suivre : même mode de vie, même économie, même conception du quotidien.

Voilà le lieu du clivage : il est dans l'espace social, quand religions ou idéologies ou modèle de consommation cherchent à régir totalement, c'est-à-dire sans contradiction, l'ordre social. Avec les intégrismes montants, la chose est claire. Avec les totalitarismes du XXe siècle qui voulaient une société à l'histoire arrêtée du bonheur absolu, ce le fut aussi, comme d'ailleurs pour toutes les volontés de conquêtes religieuses par la force dans le passé. Avec l'idéologie d'un marché unique et d'une consommation globale standardisée aussi.

La morale, c'est-à-dire le choix des règles de relation à l'autre et aux autres, devient alors le terrain d'expérimentations central. Le XXIe siècle ainsi ne sera pas religieux, il sera moral. Et il nous faut combattre à cet égard un danger subreptice, masqué par les plus louables sentiments : le dogme de la norme, le "bien" pour toutes et tous. C'est lui qui rétablit la censure, c'est lui qui prototype nos comportements. Les meilleurs principes l'épaulent : médecine, actions caritatives, droits de l'homme, écologie. Le dogme de la norme est à nos portes par ces voies-là même celles du mythe de la durée, de la santé, de la "normalité" mentale et physique. (…)»

La conversion des élites à ce «darwinisme philosophique» serait assurément une bonne chose, mais on peut se demander si elle est possible ou probable. Car une approche évolutionniste et systémique exigerait justement d'en finir avec le discours du contrôle «top-down» que ces élites propagent. Et qu'elles propagent d'autant plus volontiers qu'il justifie leur existence, à la tête de l'Etat, des grandes institutions internationales ou des grandes entreprises multinationales. Quant à la diversité des expériences et des points de vue dans notre «siècle moral», elle est assurément souhaitable. Mais il faudrait en parler avec 4 ou 5 milliards d'individus se reconnaissant officiellement dans des religions et des idéologies non compatibles avec cette diversité, car prétendant détenir la vérité unique et absolue sur les conduites humaines...

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