8.10.08

Fin de l'évolution humaine ?

Le généticien Steve Jones évoque dans le Times la « fin de l’évolution humaine », en écho à une lecture qu’il donne au University College de Londres. Trois facteurs l’amènent à cette suggestion : de moins en moins d’hommes se reproduisent après 35 ans, alors que le taux de mutation dans le sperme (donc d’innovations génétiques) augmente avec l’âge ; la sélection naturelle sur la survie des individus se relâche, avec 98 % des individus atteignant l'âge de 20 ans contre la moitié seulement jadis ; le boom démographique de l’humanité (10.000 fois plus nombreuse que ce l’on attendrait d’une espèce mammifère) diminue la part de la dérive génétique (des petites populations isolées où des mutations se répandent rapidement).

Plusieurs points. Le premier et le troisième argument semblent se contredire un peu : s’il y a plus de reproducteurs dans le pool génétique, il y a plus de mutations aléatoires en nombre absolu qui entrent dans ce pool, quel que soit l’âge de la reproduction (les mutations ne se produisent pas uniquement avec le vieillissement). Par ailleurs, le fait qu’un nombre croissant de couples repousse l’âge du premier (et du dernier) enfant devrait jouer en sens contraire de celui annoncé par Jones : nos gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) connaissent plus de mutations dues à notre milieu si l’âge du premier enfant est de 29 ans plutôt que 19 ans, par exemple.

Concernant le relâchement de la pression de sélection naturelle, il est réel et Darwin le notait déjà en son temps : nous faisons artificiellement survivre des individus destinés à la mort en dehors de toute intervention biomédicale. Mais là encore, l’argument doit être bien pesé. Il est valable dans les sociétés développées, mais pas dans les sociétés en développement soumis à une pression encore forte de la maladie (sida, paludisme, etc.). De plus, le milieu technique qui nous fait survivre n’est pas sans effet sur notre reproduction, dans la mesure où il devient notre nouvel environnement adaptatif : par exemple, des troubles cognitifs qui n’auraient pas eu d’effets majeurs dans une société rurale à travail physique deviennent handicapants dans une société urbaine à travail intellectuel ; le porteur a sans doute moins de chance de se reproduire. Enfin, les mêmes techniques biomédicales qui nous permettent de survivre ont fini pour nous permettre de comprendre l’origine génétique de maladies ou de prédispositions à des maladies, ainsi que d’autres traits non pathologiques. Rien ne dit qu’à terme l’espèce humaine ne va pas supprimer ce fardeau génétique de sa descendance, cette évolution artificielle procédant exactement de la même manière que l’évolution naturelle.

Quant au boom démographique de l’humanité, son sens dépend surtout de l’évolution future des rapports procréatifs humains. Sur le papier, nous sommes une espèce pan-mictique, c’est-à-dire que tout individu peut potentiellement se reproduire avec tous les autres. Mais dans la réalité, ce n’est évidemment pas le cas : un membre d’une tribu perdue au fin fond de l’Amazonie n’épouse généralement pas un membre de la bourgeoise urbaine d’une société européenne. Alors que les frontières des autres espèces sont essentiellement géographiques (une barrière naturelle isolant des populations), les frontières humaines sont aussi bien culturelles ou linguistiques. Si, par exemple, une partie de l’humanité s’engage durablement dans une modification génétique artificielle et itérative de sa descendance, alors qu’une autre reste isolée dans une reproduction naturelle, rien ne dit qu’il y aura toujours une seule espèce interféconde à l’arrivée. On peut aussi faire toutes sortes de scenarii spéculatifs sur le long terme, comme la colonisation de l’espace et la terraformation de planètes par les humains, ce qui amènerait à restaurer des barrières géographiques comparables à celles qui isolent les populations vivantes sur Terre. Ou bien des projections plus catastrophistes, comme l’émergence sur supervirus et superbactéries adaptés à notre humanité globalisée…

Ultime chose : nous avions vu récemment en commentant un travail de Nettle et Pollet que, même au sein des populations occidentales ou modernisées dont parle surtout Jones, il existe certains biais reproductifs. L'adaptation au sens darwinien désigne le résultat de la reproduction différentielle au sein d'une population, lorsque cette différence est due en partie à des facteurs génétiques. Et ce processus continue.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Que de moins en moins d'hommes se reproduisent après trente cinq ans, c'est sans doute vrai sur le court terme. Mais si on se reporte à des périodes où la vie humaine était extrêment courte et où elle atteignait difficilement trente cinq ans, on ne peut que supposer que l'essentiel de la reproduction se faisait dès les premières années de la fertilité donc avant trente cinq ans