17.10.08

Le poncif de l'enfant parfait

Martine Perez, chef de rubrique «science» au Figaro, nous entretien aujourd’hui de «l’enfant parfait ou la tentation de l’eugénisme». On devrait disposer dans quelques mois d’un test sanguin permettant de repérer les cellules fœtales circulant dans le sang maternel, et de diagnostiquer la trisomie sans ponction du liquide amniotique (qui provoque des fausses couches dans 1% des cas). Ce genre de test, d’abord adressé aux malformations chromosomiques les plus courantes, permettra dans un second temps un génotypage complet de l’enfant à naître : «Si aujourd'hui l'analyse d'une simple prise de sang maternel est capable de détecter la trisomie du fœtus, demain, elle pourra révéler tout aussi simplement les gènes de prédisposition du fœtus à certains cancers, ou à des maladies neurologiques qui l'affecteront tard dans la vie. Déjà, des cliniques américaines proposent aux couples qui le souhaitent des fécondations in vitro avec recherche des gènes du cancer du sein ou du côlon ou encore de la maladie d'Alzheimer. Il s'agit d'examiner les embryons obtenus par fécondation in vitro et de ne réimplanter dans l'utérus que ceux indemnes des gènes recherchés.» Et donc, nous dit Martine Perez, «lorsque, avec une simple prise de sang maternel, il sera peut-être possible d'établir toute la cartographie génétique du bébé à venir, la tentation de faire naître l'enfant parfait sera plus forte que jamais.»

Mais la journaliste oppose deux points à cette perspective : d’une part, «il est illusoire de croire que l'on pourra grâce à la génétique s'offrir un enfant parfait : l'expression des gènes de prédisposition aux cancers, au diabète, à Alzheimer, à l'alcoolisme… dépend pour une large part de l'environnement. Vouloir doter son enfant de ‘bons’ gènes sans s'astreindre à l'éduquer au jour le jour et pendant des années pour lui transmettre des règles de vie, physiques, mentales et spirituelles, c'est s'exposer à de sérieuses désillusions.» ; d’autre part, «il est clair que la possibilité de dépister encore plus simplement les fœtus trisomiques pour tous les couples qui le souhaitent (c'est-à-dire l'immense majorité), pourrait contribuer à réduire un peu plus encore la tolérance de la société vis-à-vis des personnes handicapées, que l'on a déjà tendance à cacher, ignorer, exclure. Il y a des familles qui choisissent d'élever avec amour leurs enfants trisomiques. Il y a des éducateurs qui consacrent beaucoup d'énergie à la socialisation de ces personnes. Il y a des chercheurs qui œuvrent à la mise au point de traitements destinés à la trisomie. Il y a des associations qui se battent pour avoir plus de moyens à leur offrir. Malgré les avancées du dépistage, leur rôle dans la lutte contre l'eugénisme et pour la tolérance, quoiqu'en disent certains, reste exemplaire.»

Plusieurs points.

• L’enfant parfait n’existe pas, c’est un motif créé de toutes pièces par des essayistes hostiles aux progrès biomédicaux (comme Jacques Testart) et décliné paresseusement comme poncif par des journalistes. Ce qui est en jeu concrètement, et non fantasmatiquement, c’est la possibilité de dépister des tares affectant gravement le développement physique et mental de son enfant à naître ; ou des prédispositions à des maladies n’ayant pas cette gravité, mais plaçant l’existence future dans un risque plus élevé de déclencher une pathologie. On peut refuser cette information désormais disponible, s’en remettre au hasard des loteries génétiques et chromosomiques. On peut considérer au contraire que le bien de l’enfant à naître exige de prendre ces données en considération et de faire des choix, s’ils sont possibles. Aucune recherche obsessionnelle de perfection dans cette seconde option, mais un réflexe assez spontané pour une espèce dont le lent développement des enfants a impliqué un fort investissement parental, en comparaison des autres primates ou mammifères. Certains défendent des conceptions religieuses (caractère sacré de la vie dès la conception) ou philosophiques (primauté de la dignité humaine sur toute autre considération) impliquant que nous devrions nous contenter de soigner, mais en aucun cas prévenir et sélectionner. Ils sont libres de le faire, comme d’autres parents sont libres de ne pas adhérer à de telles conceptions et de ne pas subir leurs implications concrètes.

• L’eugénisme est un concept diabolisateur, associé dans l’imaginaire au nazisme, que l’on pourrait décrire comme un dérivé de la loi de Godwin : quand vous n’êtes pas d’accord avec une pratique ou une idée dans le domaine biomédical, vous la qualifiez d’eugéniste en espérant que cette terrible étiquette sera fatale à l’objet de votre critique. Il serait hors de propos ici de rappeler que l’eugénisme a été défendu au XIXe et au XXe siècles depuis toutes sortes de positions doctrinales, et pas seulement le régime nazi : il a existé un eugénisme libéral, un eugénisme social-démocrate, un eugénisme socialiste, etc. Le point important, c’est que cet eugénisme comme idéologie impliquait généralement la contrainte sur la reproduction de l’individu au nom d’un collectif (la société, la nation, la race, l’humanité) ou d’une idée (le progrès, la pureté, la rentabilité, l’égalité). Toute doctrine avalisant ce genre de contrainte est critiquable si l’on se place du point de vue de la liberté des individus – et ce serait aussi vrai pour le dysgénisme, s’il voulait interdire aux parents de maîtriser leur procréation au nom d’un quelconque idéal imposé par un quelconque groupe. Ce qui est le cas aujourd’hui pour les bio-éthiques et les biopolitiques autoritaires, contraignant certains couples au tourisme médical s’ils souhaitent opérer des choix procréatifs interdits dans leur pays.

• En voulant prévenir un handicap, on serait plus ou moins coupable d’une discrimination envers les handicapés, à tout le moins on la favoriserait. C'est un sophisme répandu. Il est bien connu que notre époque est une vaste «cage aux phobes» (Philippe Muray), que chacun doit désormais témoigner de respect, amour et considération pour tous les autres s’il veut obtenir son brevet de parfait citoyen et gentil humain, que la supposée «handiphobie» vient, après cent autres, désigner et pénaliser nos mauvais penchants. Martine Perez craint que s’affaiblisse la «tolérance de la société» envers les handicapés. C’est un problème si l’on pense que la tolérance de la société existe : je n’en crois rien. Tout groupe humain est porté à devenir intolérant quand il raisonne en terme de groupe, parce qu’il vise une certaine unité et cohésion de ce groupe, ce qui suppose la répression ou l’exclusion des déviants (par exemple le handiphobe dans une société à tolérance obligatoire, le handicapé dans une société à santé obligatoire). Quand on dit que «la société» porte un regard négatif sur les individus handicapés, cela signifie simplement que la majorité des individus n’aime pas être en présence d’individus trop différents d’eux, parce que cela heurte des conceptions innées ou acquises de la normalité des traits ou de la prévisibilité des comportements. Il est douteux que les évolutions des techniques procréatives changent cette disposition psychologique, que le fait de pouvoir éviter la naissance d’un enfant trisomique accentue ou diminue ce que les individus ressentent de facto en compagnie d’un trisomique. Il est en revanche probable que, si la naissance de l’enfant trisomique est un choix volontaire de ses parents, opéré en toute connaissance de cause, on demande d’abord à ses parents ou à des associations de parents dans le même cas (plutôt qu’à toute la société) d’assumer leurs responsabilités. Il n’y a rien de discriminatoire à cela, c’est une conséquence logique de l’entrée progressive de la procréation dans le domaine du choix rationnel. Que l’Etat prenne ou ne prenne pas des mesures redistributives ou coercitives favorables à certaines minorités (selon le principe de discrimination positive), c’est en dernier ressort un débat politique relativement indépendant des attitudes procréatives.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'aime tellement les trisomiques, je trouve qu'un monde sans trisomique, cela va être très triste. Mais est-ce que j'irais jusqu'à choisir volontairement un enfant trisomique? Là est toute la question. Mais pour moi, les trisomiques sont un peu comme une race spéciale, fascinante, qui a beaucoup à apporter à l'humanité. Cependant, je comprends les mères et que je ferais surement pareil, c'est toute l'ambiguité de mon sentiment sur la question.