24.10.08

Spéculation sur les actifs émotionnels

Dans Libération, le magistrat et historien Yves Lemoine évoque le moment où «les vraies émeutes naîtront». Dans Le Monde, la professur de philosophie Aline Louangvannasy écrit : «Même si nous la refusons, la violence est toujours une possibilité. D'autant plus imminente et probable que nous sommes confrontés à l'incapacité de nos élites dirigeantes, quelles qu'elles soient, à construire un espace politique qui prenne en compte nos aspirations au bonheur, à la reconnaissance et à la justice». Le président d’honneur d’Alcatel Georges Pébereau, dans le même Monde : «L'écart ne cesse de se creuser entre les salariés et la petite classe de privilégiés, protégés par le pouvoir, dont le nombre et la fortune croissent rapidement. Nous sommes, à n'en pas douter, dans une période prérévolutionnaire, au sens de 1789. Les cadres et, d'une façon plus générale, les classes moyennes, seront demain, comme les bourgeois naguère, les catalyseurs de la révolution». J'imagine que des tribunes plus radicales exposent des analyses plus virulentes encore. C’est intéressant d’observer en direct ces mécanismes associant la crise économique à la violence sociale ou politique. Dans une situation d’incertitude, crier plus fort que les autres des mots plus durs que les autres est une stratégie qui peut se révéler payante chez le primate humain. On peut supposer qu’il existe une prime à la simplicité dans les situations (objectives ou subjectives) de danger. Cela rappelle les analyses de Sloterdijk sur la thymotique commentée ici, la capitalisation de la colère et du ressentiment. Le krach des actifs financiers ouvre grande la porte à la spéculation sur les actifs émotionnels, toujours présents dans les cerveaux humains. On peut donc s’interroger sur le diagnostic d’Ulrich Bech lorsqu’il affirme (Le Monde) : «Ce qui était un tableau effroyable pour Weber, Adorno et Foucault (la perfection du contrôle rationnel qui régissait le monde) est pour la victime potentielle des risques financiers (c'est-à-dire pour tout le monde) une promesse : ah !, si le contrôle rationnel régnait en maître!». Est-ce bien certain que ce surcroît de rationalité sera l’interprétation dominante si la crise venait à s’aggraver ? A long terme, c'est une quasi-certitude puisque les débordements émotifs ne guident pas efficacement l'adaptativité humaine au monde. Mais si l'histoire se lit rétroactivement sur ce long terme, elle s'écrit sur un registre bien plus immédiat et imprévisible.

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