3.10.08

Lumières sur l'esprit

Pour un physicaliste cohérent, les ultimes secrets de l'esprit se trouvent dans les neurones : comprendre l'esprit, c'est craquer le code neuronal comme Watson, Crick et Wilkins l'ont fait pour le code génétique. Que cette hypothèse de travail se révèle vraie ou fausse à l'arrivée, l'observation du neurone en activité en est un préalable. Le problème : il y a 100 milliards de neurones dans un cerveau humain, la plupart pouvant posséder quelques dizaines à quelques milliers de connexions avec leurs voisins. Autant dire que lorsqu'on observe l'activité cérébrale in vivo, par exemple, par les désormais familières TEP ou IRMf, on n'a qu'une vue grossière de l'activité réelle des neurones dans leur tâche de traitement de l'information et de production des états mentaux. D'autres méthodes d'électrophysiologie, comme les micro-électrodes, permettent de détailler les processus neuraux, mais sur de courtes périodes d’activité in vivo (et les analyses fines se font plus souvent in vitro, par patch clamp). Dans Nature Methods, Mazahir Hasan et ses collègues annoncent la mise au point d’un procédé entièrement nouveau d’observation des neurones. Celui-ci est fondé sur le principe du potentiel d’action, ce que l’on appelait jadis l’influx nerveux : la membrane plasmique des neurones possède la capacité de se polariser / dépolariser selon les stimuli qu’elle reçoit. Passé un certain seuil d’excitabilité, des canaux membranaires diffusent divers ions (sodium, potassium, calcium et chlore) qui produisent et modulent le potentiel d’action, cette activité électrique permettant au neurone de transmettre l’information. Les chercheurs ont mis au point un senseur protéique (D3cpv), composé de deux sous-unités, des protéines à fluorescence jaune (YFP) et bleue(CFP). Celles-ci ont la capacité de se lier aux ions calcium. Le senseur a été codé génétiquement et introduit par voie virale dans le tissu nerveux de souris : lorsque le niveau de calcium se modifie, YFP et CFP se rapprochent, leur transmission énergétique évolue et l’activité peut être enregistrée. Le procédé permet de voir « en lumière », au niveau individuel et sur la longue durée, les neurones actifs échangeant des informations avec leurs voisins. Cela conduira notamment à observer sur l’animal, avec un grand luxe de détails, le cycle de vie active du neurone : développement du système nerveux, mise en fonction des liaisons neurales, processus de perception, d'apprentissage et de mémorisation, évolution avec le vieillissement, neurodégénérescence…

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Et avec quoi observe-t-on des neurones?

C. a dit…

C'est-à-dire ? On les observe avec des instruments ad hoc et, en dernier ressort, avec nos organes de perception. Comme le reste de la réalité.

Anonyme a dit…

On les observe donc, aussi,grâce aux neurones.

C. a dit…

Oui... et donc ?

Anonyme a dit…

Je ne suis pas bien sûr qu’on puisse dire que « les ultimes secrets de l’esprit se trouvent dans les neurones ».

En fait l’esprit parait être comme la monnaie dont la crise actuelle révèle l’ultime secret : le secret de la monnaie n’est ni dans les billets, ni dans les livres des banques, ni dans les contreparties de la masse monétaire à la banque centrale. Il exige tout cela mais il est ailleurs. Il est dans la circulation des capitaux, dans les transactions et particulièrement les transactions interbancaires, qui dès qu’elles se ralentissent ou s’arrêtent, entament un processus d’agonie de l’économie et de la monnaie elle-même.

De la même façon, l’esprit humain ne vit, ne se manifeste et en final n’existe que dans la relation de l’homme à ses semblables. Des expériences comme celle de Michel Siffre l’ont mis en évidence. En isolement total, Michel Siffre s’est rendu compte que son activité cérébrale se ralentissait rapidement, qu’il perdait toute capacité à penser, à agir et qu’il entrait dans un état de léthargie qui aurait pu le conduire à la mort. Ses neurones étaient là, il avait un projet, la gestion de sa vie quotidienne et de ses expériences scientifiques à assurer et pourtant il perdait littéralement l’esprit.

Cela peut paraître bien prétentieux de ma part de porter un tel jugement, mais il me semble que c’est ce qui échappe à la philosophie de l’esprit et ne lui permet pas de se poser les bonnes questions. Elle pose à la question de l’esprit à partir d’une réflexion sur l’individu isolé, ses états mentaux, leur inscription dans l’appareil cérébral et leur lien avec ses actes. Or l’individu isolé n’a pas d’esprit. L’esprit est dans la relation. Il n’en est pas moins matériel tout comme la monnaie mais pas plus qu’on ne comprend la monnaie en regardant un billet sous toutes ses faces, on ne peut comprendre l’esprit en observant même finement des neurones.

C. a dit…

(Anonyme) Je ne pense pas que les sciences de l'esprit (la philosophie, c'est autre chose) pose le cerveau comme un organe isolé. Il est évidemment en relation constante avec le reste du corps et avec le monde extérieur, puisqu'il est en quelque sorte "programmé" pour cette tâche. Cela inclut notamment les relations aux autres, médiées par les émotions, le langage, l'empathie, la théorie de l'esprit, etc.