8.10.08

Compétition de groupe

Une dizaine de soldats français sont morts en Afghanistan, un pays que leur armée occupe. Dans le XIXe arrondissement de Paris, la guerre fait rage entre gangs de cités voisines. Et à Grenoble, les exécutions se succèdent dans le milieu du banditisme, où des familles se partagent le marché noir de la drogue, du jeu et de la prostitution. Dans quelques jours, l’équipe de France de football va tenter d’arracher sa qualification pour la coupe du Monde, il lui faudra battre son adversaire. Pendant ce temps, avec la crise financière, les entreprises sont malmenées : plusieurs font faillite, et certaines sont rachetées à bas prix par des concurrentes profitant de cet accès de faiblesse.

Ces quelques extraits de notre actualité nous montrent une réalité : la compétition de groupe. Homo sapiens n’agit pas comme un individu, mais comme membre d’un groupe. Et ce groupe est souvent en compétition, concurrence, conflit avec d’autres, dans les domaines symbolique, sportif, culturel, politique, militaire, économique ou autres. La nouvelle anthropologie évolutionnaire s’intéresse depuis quelques décennies à cette dimension « groupale » et à la place qu’elle a pu tenir dans l’histoire de notre espèce. Deux chercheurs finlandais se sont penchés sur cette question à partir de la théorie des jeux. 192 étudiants (huit sessions de 24 participants) ont joué à un jeu dit du bien commun (PG, public good) et du bien commun avec compétition de groupe (GC). Le jeu du bien commun est une méthode pour observer l’altruisme des sujets : 4 participants ont 20 unités monétaires au départ, chacun contribue comme il le souhaite à un projet commun (entre 0 et 20). Le gain final du groupe est partagé et dépend de ces contributions individuelles : celui qui a un comportement égoïste reçoit un bénéfice, mais il aura coûté aux autres. Le jeu faisant intervenir la compétition de groupe se déroule de la même manière, sauf que les gains dépendent cette fois de la capacité d’un groupe à donner plus que les groupes en concurrence : si un individu met moins au pot commun, son groupe risque d’être plus faible que l’autre à l’arrivée.

Résultat de la simulation : les joueurs participant au jeu du bien commun avec compétition de groupe ont montré une coopération bien plus prononcée, avec 333 unités monétaires sur 10 rounds contre 251 dans le jeu simple. Dans le même temps, les chercheurs ont mesuré par questionnaire les sentiments de colère contre les joueurs égoïstes, et de culpabilité ressentie par ceux-ci après un don faible au pot commun. Là encore, la compétition de groupe a accru l’expression de ces émotions morales : +14,2 % pour la colère, +4,9 % pour la culpabilité. Conclusion des chercheurs : « Dans notre expérimentation, les interactions entre groupes ont été contraintes vers une compétition à somme nulle, où les gains d’un groupe égalent les pertes d’un autre. Dans la vie réelle, les interactions peuvent aussi bénéficier aux deux groupes, comme dans l’échange profitable, ou être destructrices pour les deux groupes, comme dans la guerre sans vainqueur clair. La compétition de groupe ne doit donc pas être vue comme une chose menant inévitablement à une meilleure compétitivité ou à des avantages pour une société. On doit plutôt voir cette compétition de groupe comme une force ayant modelé le comportement social humain au cours de l’évolution, et une force factuelle modelant encore la vie quotidienne des humains modernes, depuis la compétition dans le monde du travail jusqu’aux chocs entre nations ».

Référence :
Puurtinen M., T. Mappes, Between-group competition and human cooperation, Proceedings of The Royal Society B, online pub., doi: 10.1098/rspb.2008.1060

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