Dans Libération, Denis Guedj (professeur de mathématiques et d’histoire des sciences, Paris 8 Saint-Denis) donne son opinion sur la raison pour laquelle les filles choisissent moins que les garçons les filières scientifiques, notamment mathématiques. Ce qui donne :
« À l’école comme dans notre société inégalitaire, il y a une hiérarchie, et les maths sont utilisées pour la marquer. Elles jouent le rôle de l’excellence, de la distinction. Les sections scientifiques S sont présentées comme au-dessus des autres. Et comme nous sommes toujours dans une société d’hommes, les femmes y sont moins nombreuses. »
Ou encore :
« …dans le raisonnement mathématique, la rigueur est poussée à l’extrême. Le statut de la vérité est particulier : ou c’est vrai, ou c’est faux. Vous démontrez quelque chose par les maths, qui ne peut être contredit que par les maths. Cela peut être ressenti comme de la violence, une forme de brutalité. C’est d’ailleurs tout à la gloire des maths : ce n’est pas une science molle qui peut être mise à toutes les sauces. Cela heurte beaucoup de gens qui détestent les maths. Cette violence est-elle plus ressentie par les filles ? »
Ou bien :
« On continue d’élever les garçons davantage dans un esprit de compétitivité. Mais les femmes y viendront, c’est en train d’évoluer. (…) En maths, il n’y a qu’une vérité : ce qui est vrai est toujours vrai. On ne négocie pas, on ne fait pas d’arrangements, on ne deale pas comme on le fait aujourd’hui avec les parents, avec les profs. Rien ne peut être établi qui ne soit démontré. Cela va à l’encontre du « tout est équivalent » ambiant. Cela peut-il expliquer une plus grande distance des filles ? Je pose la question sans avoir la réponse. »
Tout cela est bel et bon, mais par hasard, n’y aurait-il pas aussi une part de prédisposition biologique ? Eh bien non :
« Y a-t-il un sens à dire qu’un sexe est plus attiré par telle discipline, comme on dit que les hommes sont plus attirés par la guerre pour des raisons culturelles ? Dans le cerveau, il n’y a rien qui l’explique. »
Cette position illustre bien le tropisme « tout dans la culture, rien dans la nature », particulièrement dominant en France (voir aussi les positions très engagées de Catherine Vidal). Il existe un nombre incalculable de travaux en psychométrie, neuro-anatomie et neuro-endocrinologie sur les différences sexuelles en matière cérébrale et cognitive, mais ces différences n’auraient aucune signification sur la manière dont les filles et les garçons réussissent en moyenne dans différentes disciplines. L’enjeu n’est évidemment pas de dire que toutes les différences sont biologiques, ce qui est un non-sens, ni qu’un sexe serait structurellement inadapté à une discipline (on constate une progression régulière des femmes dans les métiers de la recherche, moindre dans celle d’ingénierie, les maths et la physique théorique restant les disciplines le plus masculines). Mais en l’occurrence, c’est le discours du tout-culturel qui continue son lancinant bla-bla sur les inégalités sociales causes de toutes les inégalités individuelles, ou sur les individus vus comme des petites poupées de cire modelées par leur milieu de la naissance à la mort.
On observera d’ailleurs que cela conduit Guedj à des spéculations assez oiseuses et contradictoires : les maths seraient « violentes » et « brutales » dans leur essence (merci la psychologie populaire à deux sous) et les filles n’aimeraient pas ça. Mais au fait, pourquoi n’aimeraient-elles pas cela… sinon parce que leur comportement serait moins compétitif ou agressif que celui des garçons ? Dans ce cas, on en revient à soupçonner que nos hormones sexuelles ne sont pas indifférentes à nos manière d'agir et de penser, donc que la nature co-explique nos destins individuels avec la culture, mais en ayant pris les chemins de traverse d’hypothèses gratuites sur la nature profonde des mathématiques.
PS : j'ajoute un point qui m'est venu à la relecture. On n'a aucune difficulté à reconnaître que si les meilleurs résultats masculins sont toujours supérieurs aux meilleurs résultats féminins dans tous les sports, c'est en raison de différences innées de stature osseuse, de masse musculaire et d'oxygénation sanguine. Personne ne dirait sérieusement : c'est parce qu'on a poussé dès la maternelle les petits garçons dans la cour de récré et les petites filles dans l'atelier de couture. Mais on répugne à admettre ou simplement envisager qu'il pourrait exister de telles différences dans le cerveau - organe qui, rappelons-le, mobilise le plus de gènes dans sa construction et le plus d'énergie dans son fonctionnement. A mon avis, c'est encore un effet résiduel du dualisme corps-esprit : le second terme (esprit) serait une pure abstraction totalement indépendante de sa constitution matérielle.
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2 commentaires:
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L'expérience montre qu'il est en général impossible de débattre face à quelqu'un persuadé de la prépondérance du "Tout Acquis" autour du sujet "Inné-Acquis" sans avoir l'air de prendre parti pour le "Tout Inné".
Ceux qui sont convaincus de la seule validité de la culture dans la constituion de l'humain, c'est à dire la plupart, ont la fâcheuse tendance à toujours placer le débat sur le plan de la seule opposition entre le "Tout Inné" et le "Tout Acquis".
Il est avec eux toujours très difficile d'orienter les discussions sur le plan de la seule et unique opposition entre leur façon de penser (tout est acquis grâce à la culture) et celle qui consiste à poser l'humain en tant que sujet constitué d'un inné et d'un acquis parfaitement intégrés l'un à l'autre et donc parfaitement indissociables l'un de l'autre.
Nous ne sommes pas sortis de l'auberge ...
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A mon avis, il y a deux motivations un peu différentes chez les environnementalistes : le refus de la fatalité et le refus de l'inégalité.
Le refus de l'inégalité, c'est assez incurable. Penser encore en 2008 que les individus naissent égaux en tout domaine et que la société seule crée par la suite les hiérarchies physiques, intellectuelles, etc, cela relève d'une passion égalitaire et d'une cécité aux faits plus proches de la religion que d'autre chose.
Le refus de la fatalité, c'est une mauvaise compréhension de ce que sont les déterminations biologiques. D'abord, on peut presque toujours les compenser en partie si on le souhaite, par des efforts particuliers (mais cela représente une dépense de temps, d'énergie et de ressources, ce que font par exemple les systèmes d'éducation nationale). Ensuite, mettre en équation fatalité et détermination biologique suppose que l'on s'interdit de toucher à ces déterminations... alors qu'il n' y a justement aucune fatalité à cette interdiction, c'est un choix culturel ou religieux, largement surdéterminé par l'héritage judéo-chrétien et ses formes laïcisées.
Lorsqu'il sera évident aux yeux de tous que les gènes et leurs produits influencent le destin des individus, parfois de manière non négligeable, alors il paraîtra tout à fait évident que l'on peut modifier ces gènes et leurs produits si on le souhaite. D'ici là, certains préfèrent continuer de consoler les gens en leur disant que s'ils font ceci ou cela, c'est parce que leurs parents les ont fait jouer avec une poupée ou un fusil à trois ans, donc que c'est la faute à personne (sinon des "stéréotypes sociaux" qui ont bon dos, et qui sont de moins en moins crédibles à mesure que les sociétés éclatées voient disparaître ces stéréotypes).
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